Kean - Adaptation de Jean-Paul Sartre
Déjà remarquable par elle-même, la pièce de Dumas a connu en outre le sort singulier d'être «réécrite» un bon siècle plus tard par Jean-Paul Sartre. Une réécriture intégrale qui n'a pas pour autant incité Sartre à revendiquer la paternité de la nouvelle pièce: l'édition Gallimard présente bien Kean comme étant l'oeuvre d'Alexandre Dumas (dont le nom apparaît seul au dos du livre), dans une «adaptation de Jean-Paul Sartre».
Cela dit, il faut bien reconnaître que la version de Sartre est encore bien plus réussie que celle de Dumas, et que la transformation effectuée par l'auteur de La nausée est passionnante. Sartre a en fait considérablement développé certains éléments qui n'étaient évoqués que de façon passagère chez Dumas : la dérive de Kean vers la folie, la perte d'identité de l'acteur qui ne sait plus où est le réel et où est le jeu.
Alors que chez Dumas, Kean souffre essentiellement de son statut social, chez Sartre il n'a plus d'identité. La passion de jouer qui l'anime finit par l'envahir tout entier, ce qui donne à Sartre l'occasion de vertigineuses mises en abîme. Le meilleur exemple en est fourni par Anna, dont le rôle est beaucoup plus important dans la version de Sartre : quand elle vient demander à Kean de lui apprendre à jouer, ce dernier lui demande, à titre d'exercice, de jouer le rôle d'une jeune fille qui viendrait demander à lui, Kean, de lui apprendre à jouer...
Très grand chef d'oeuvre, donc, le Kean de Dumas-Sartre est fort heureusement encore joué régulièrement. Signalons enfin l'existence d'une parodie très réussie, Kinne, contemporaine de la première de la pièce.
Patrick de Jacquelot
http://www.dumaspere.com/pages/dictionnaire/kean.html