Carnet d'un émigré
Je suis beaucoup revenu de mes préjugés sur les émigrés de 1792. La Révolution les a outrageusement calomniés. En outre, ils avaient le tort inexpiable de préférer le passé à l'avenir, et même de vouloir se battre pour lui.Certes, le passé était un peu fatigué, un peu défraîchi, mais si l'on veut bien considérer que l'avenir c'était Napoléon, la France épuisée pour cent ans, l'Europe en feu, les convulsions politiques du XIXe siècle, les dictatures et les guerres du XXe, on conviendra que les têtes de linotte qui jouaient au whist à Coblence n'étaient pas plus folles que les grosses têtes du Comité de Salut Public à Paris.« On m'accuse d'être un homme d'un autre âge. Tant mieux; c'est plus chic ! » disait Léautaud. Voilà une parole que tout écrivain ou tout artiste pourrait reprendre à son compte. Le destin d'un homme qui a choisi de dire des choses sérieuses et nouvelles est d'être un perpétuel émigré. II est juste d'ajouter que l'émigration me pèse particulièrement depuis le mois d'avril 1969.J.D. Source : Le Livre de Poche, LGF