La voix et l'ombre
J’ai écrit ce livre pendant qu’une femme mourait. Elle fut ma première épouse, et je me rends à présent compte que je me suis mis au travail le jour où l’on m’a appris qu’elle allait mourir. Dire ce que je sais d’elle, avec qui j’ai vécu pendant dix ans, me paraît vain : elle m’était devenue une sorte d’étrangère ; elle se trouvait reléguée dans cette zone singulière de l’existence où certains êtres ne vivent plus qu’arrêtés dans le temps, interdits de présence, fantômes avant l’heure. Je passe sous silence ce dont je me souviens et qui ne cesse de croître comme si sa voix étendait son ombre en moi.