Correspondance (1934
cf"Extrait critique de Frédéric Aribit- La Cause littéraire"
"C’est le 14 décembre 1934 que Blaise Cendrars et Henry Miller se rencontrent, à Paris. Y en-a-t-il beaucoup dans une vie, des rencontres comme celles-là ? Blaise Cendrars, déjà auréolé d’une belle notoriété de poète, d’écrivain révolutionnaire et d’aventurier, vient de lire le Tropique du Cancer, premier roman enfin publié par cet inconnu de 44 ans, qui se décrit volontiers comme un « raté accompli », vivant sa vie de bohème parisienne au crochet des femmes de sa vie. Et Cendrars est enthousiaste. « Livre royal, atroce, e¬tement le genre de livres que j’aime le plus… ». En une soirée, en une nuit de discussion et d’échanges, le ton est donné. Jamais ils ne se départiront l’un de l’autre, même si leur relation connaîtra quelques éclipses durables.
Editer, ou rééditer aujourd’hui la correspondance de ces deux phénomènes de la littérature du XXe permet de mesurer l’intensité d’une amitié rare, et de lire comme le filigrane de deux œuvres parallèles, distinctes et similaires à la fois, engagées chacune dans le difficile processus de l’écriture de soi qu’on aime appeler désormais « autofiction ». Travail de recherches inabouties (les lettres disparues de Cendrars de 34 à 39), de classement et de croisements (les datations à l’anglaise ou à la française pouvant varier chez Miller), scrupuleux travail de fourmi pour donner à entendre quelque chose de cette admiration sans faille de Miller, et de cette liberté échevelée de Cendrars, probablement moins débordant dans l’éloge, moins ostensiblement « littéraire » dans l’exercice de la lettre privée.
A vrai dire, tous ces échanges ne sont certes pas toujours d’un intérêt égal, mais pouvait-il en être autrement ? Incontestablement, c’est ainsi qu’ils font mieux battre sans doute le pouls du quotidien.
Moravagine, donc, ouvre l’échange, que Miller lit frénétiquement, dictionnaire en main, dès son arrivée à Paris. En 25 ans de correspondance, les sujets ne manqueront pas. Tout y passe, avec humour parfois : les dépressions, la difficulté à écrire, les rapports pas toujours simples avec leurs femmes respectives et successives, les pérégrinations entre Amérique et Europe, les observations critiques sur les œuvres, les propositions de préfaces, les questions de traductions… Un jour, c’est Miller qui fulmine contre sa paresse d’écrivain, ou la nullité éditoriale américaine. Et un autre, c’est Cendrars qui exprime sa fougue d’infatigable écrivain, sa soif de lecture et plus encore d’alcool, ses problèmes de santé…