L'Incandescent
Les sciences ne cessent de progresser. Si l'époque des découvertes spectaculaires est révolue, ce n'est pas que les scientifiques n'avancent plus qu'à petits pas mais que les enjambées sont devenues si nombreuses que, dans ce vaste galop, l'importance de chacune d'elles cesse d'être perceptible. On a dit que cette marche en avant du savoir, loin d'aider les hommes à répondre aux grandes questions qu'ils se posent, les renvoyait au contraire à un univers étranger, sans valeur ni sens. Il est vrai que la promotion massive du quantitatif, dans le prodigieux essor scientifique de la seconde moitié du XXe siècle, a pu laisser penser que les équations et les lois désenchantaient le monde.Le projet de Michel Serres,à travers l'œuvre de son Grand Récit, est de rendre sensible et sensée la dynamique exponentielle de l'aventure des sciences en développant la vision du monde qu'elles contiennent. La mise en correspondance des différents temps de l'univers (celui de la matière depuis le supposé Big Bang, celui du système solaire, de la Terre, de la vie, des lignées anthropoïdes, de l'histoire humaine, d'une vie individuelle…) balaye les catégories myopes à l'aide desquelles nous pensons ordinairement notre existence. Fontenelle relevait déjà, hier, que "de mémoire de rose, on n'a jamais vu un jardinier mourir". Michel Serres renoue avec la sagesse d'Héraclite qui affirmait, avant-hier, que rien n'est et que tout est puisque "tout est fluent". La force du propos est de montrer comment les progrès de la science contemporaine articulent cette antique et profonde intuition. L'humanité trouvera-t-elle plus de paix à partager la culture universelle qui lui assigne sa juste place dans la grande histoire de l'univers ? C'est le pari de l'auteur qui tente, dans une entreprise originale, de faire se rejoindre la science et le mythe. --Emilio Balturi