Un régicide
Un régicide est mon premier roman. Achevé en 1949, il fut aussitôt soumis à un grand éditeur parisien, et fort aimablement refusé. Je travaillais alors comme ingénieur de recherches à l'I.F.A.C. (Institut des Fruits et Agrumes Coloniaux). Rentrant des Antilles au début de l'année 1951, après un séjour consacré à l'étude sur le terrain de quelques parasites du bananier (cercospora musae et cosmopolites sordidus), je retrouvai mon manuscrit qui avait échoué, après divers errements, sur la table des Éditions de Minuit. Cette Maison se montraıt intéressée. Je coupai court à ses hésitations : j'écrivais un second livre, disais-je, et pensais que celui-là emporterait la décision facilement. Ce fut le cas : Les Gommes, terminé à la fin de 1952 fut publié aussitôt. Je pensai pouvoir alors faire paraître Un régicide, livre plus difficile d'accès. Mais, le relisant, il me sembla nécessaire de revoir d'abord le texte. Et, de nouveau, je préférai me consacrer entièrement au récit qui m'occupait désormais l'esprit : Le Voyeur. Plus le temps passait, plus je trouvais de retouches à faire au premier ouvrage ; et moins il m'apparaissait opportun de rompre à son profit le cours de travaux qui découlaient directement l'un de l'autre.
C'est seulement en 1957, après avoir publié La Jalousie, que je m'attaquai à cette révision. Sur la première page, je corrigeai deux mots, vingt sur la seconde, un peu plus encore sur la troisième. À partir de la cinquième je récrivais le texte entièrement. À la dixième je m'arrêtais devant l'absurdité de l'entreprise et je composais Dans le labyrinthe. Aujourd'hui, je prends le parti de livrer au public mon texte tel qu'il était à l'origine, avec seulement quelques menues corrections de ponctuation, de vocabulaire ou de syntaxe, deux ou trois par page environ. Une seule de ces modifications est importante, le changement de prénom du héros : Philippe, devenu Boris en 1957. En effet le travail de réécriture accompli cette année-là a été conservé ici, si bien que le texte entre la quatrième et la dixième page ne peut être considéré comme d'origine. »
Alain Robbe-Grillet