Raturer outre
Si je n’avais pas adopté ce parti prosodique, quatorze vers distribués en deux quatrains et deux tercets, ces poèmes n’auraient pas existé, ce qui ne serait peut-être pas bien grave, mais je n’aurai pas su ce que quelqu’un en moi avait à me dire. Les mots, les mots comme tels, autorisés par ce primat de la forme à ce qu’ils ont de réalité sonore propre, ont établi entre eux des rapports que je ne soupçonnais pas. Le besoin d’éviter dans ce lieu étroit la répétition, sinon méditée, du moindre vocable, y a effacé des pensées, des images, sous lesquelles d’autres sont apparues. La contrainte aura été une vrille, perçant des niveaux de défense, donnant accès à des souvenirs restés clos si ce n’est pas réprimés. C'est ce que j’appelle « raturer outre ». La forme qui peut se mettre, rhétoriquement, et alors passive, au service de ce que l’on croit savoir et désire dire propose aussi, poétiquement, de déconstruire ces idées, découvrant, par en dessous, d’autres strates. Un « trobar », sur les cordes du langage.