Les histoires de Jacob
L'histoire de Jacob et de Joseph occupe une place centrale dans le second mouvement de la Genèse, lui-même consacré aux Patriarches.
La douzième sourate du Coran la tisse de nouveau. Et Thomas Mann encore l'a écrite dans une tétralogie de plus de quinze cents pages . Ces épisodes du récit biblique offrent un exemple parfait entre tous de ce que j'ai déjà évoqué ici comme un appel à l'actuation par l'écriture.
Thomas Mann a discerné dans la figure de Joseph l'un des ressorts les plus humains de l'Ancien Testament, mais aussi un nœud critique du récit où ce matériau – cette argile humaine – reste à l'état de principe à peine énoncé, de story-board dirait-on de nos jours – boule glaiseuse de langue originaire qui appelle le potier. Il en va ainsi, par eÎllence, du combat de Jacob avec l'Ange, si énigmatique dans son économie narrative tel qu'il figure dans la Genèse. Le texte semble attendre qu'on le déplie, qu'on le déploie, ce que fait Thomas Mann.
Mais il y a aussi ces temps plus explicites, plus apparemment limpides, qui suscitent l'interprétation. Nous sommes ici bien en deçà de l'exégèse et à cent lieues de toute paraphrase, dans une région intime du texte où lecture et écriture se confondent. Il me semble – pure intuition, car je m'avance ici à mains nues, laissant de côté toute érudition, tout recours savant, ne faisant parler que ma propre empathie pour le texte écrit sans relâche, dont Thomas Mann me tend le témoin, comme dans une course de relais – il me semble donc que cette lecture qui s'écrit puisse être un écho de la tradition orale, avant qu'un texte de référence ne soit fixé, quand étaient indémêlables les mots sacrés du mythe et le verbe du passeur – quand la langue du récitant était elle-même sacrée par contagion du mythe qu'elle transmettait.