Correspondance : Hermann Hesse/Thomas Mann
Encore jeunes, déjà célèbres et manifestement promis l’un et l’autre à un brillant avenir littéraire, Thomas Mann (1875-1955) et Hermann Hesse (1877-1962) firent connaissance en 1904 à Munich, hôtes tous deux de leur éditeur, S. Fischer. Espacée d’abord, puis plus régulière au fil des années, la correspondance qui s’engagea entre eux ne s’interrompit qu’avec la mort de Thomas Mann en 1955. Ce volume présente pour la première fois au lecteur français l’intégralité des lettres conservées ainsi que plusieurs documents en annexe qui, éclairant les arrière-plans historiques, idéologiques ou personnels de cette correspondance, permettent d’en apprécier précisément les enjeux.
Entre ces deux géants conscients de représenter, chacun à sa façon, une bonne part de ce que la tradition humaniste allemande pouvait avoir de plus précieux – comment ne pas évoquer là une autre amitié et une autre correspondance célèbres, celles de Goethe et de Schiller ? –, nous voyons s’approfondir l’attachement et l’estime au fur et à mesure que s’élèvent les édifices majestueux de leurs œuvres parallèles.
Mais il y a autre chose : dans la guerre que la folie du siècle mène contre ces valeurs humanistes, Thomas Mann et Hermann Hesse se trouvent vite en première ligne, sommés par les événements, qu’ils le veuillent ou non, de prendre clairement position. Entre Hesse, qui a démissionné en 1930 de la section de littérature de l’Académie des arts de Prusse, et T. Mann, qui le presse en 1931 de s’y faire réélire, entre l’un qui refuse avec une constante intransigeance de se ranger dans un camp et l’autre qui, en 1936, et non sans avoir tergiversé, se solidarise enfin sans réserve avec l’émigration allemande, ce sont deux conceptions du rôle de l’écrivain, de la mission de l’intellectuel qui s’opposent souvent, mais se rejoignent aussi parfois, comme dans le jugement sans aménité que l’un et l’autre portent sur l’Allemagne occidentale d’après 1945. Cet aspect-là aussi de l’échange entre Hermann Hesse et Thomas Mann retiendra sans doute l’attention du lecteur d’aujourd’hui.