La Mélancolie des innocents
Voilà un roman qui s'inscrit dans une veine entre Giono et Pagnol. Victorin Jouve a cinquante ans, trimbale sa faconde engoncé dans un fauteuil roulant. Connu comme le loup blanc à Solignargues, petit village provençal. C'est un puits d'histoire, de récits qui remontent aux premières années 1900, un infatigable et inlassable conteur. Cela tombe bien : M. Milanoff (double de l'auteur ?) est rédacteur de guides de voyage, "le genre de livres qu'on écrit avec des moufles en faisant rôtir du caribou". Comme Victorin, il est un chasseur d'histoires. L'un aime les raconter, l'autre les recueillir. Le premier possède un plein panier de souvenirs, une besace chargée d'anecdotes familiales, un époustouflant bastringue paysan peuplé d'êtres singuliers : un voleur de chevaux, funambule et magicien, collectionneur d'art, un serviteur qui naît et renaît de ses cendres, une aveugle installée quelque temps à Istanbul, un aïeul à la tête d'une entreprise de réglisse… Rongé par le sentiment d'être parvenu au bout de sa vie, le (vrai-faux) narrateur convoque les morts de sa famille, auréolés de leur légende, exhumés avec leur douleur, leur malheur… Mémoire individuelle et mémoire collective, nourrie de saynètes, de mille et un personnages, cette "Mélancolie des innocents," baignée par le soleil méditerranéen, revêt bien des accents de Giono et de Pagnol. Mais si Milovanoff ne jouit pas de la verve créatrice de ses illustres aînés, il possède néanmoins un allant et un élan qui entraînent avec eux personnages et lecteurs. Avec beaucoup de chaleur… --Céline Darner