L'Ennemi

Robert Pinget

L'Ennemi
198 pages
Popularité
Popularité du livre : faible
Notes
Note globale
★★★★★
★★★★★
3.45
Note personnelle
★★★★★
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0

Quel thème plus pathétique que celui d’un homme en proie aux attaques de l’âge, de la solitude, de l’oubli, du sommeil ou du désordre de l’esprit, bref, de l’éternelle “ vieillesse ennemie ” ? Descriptions précises, portraits pittoresques, énigmes excitantes, épisodes tragiques ou cocasses assortis de réflexions pertinentes sur le monde et la vie, il y a dans L’Ennemi tous les éléments d’un roman à succès. Tous sauf un : cet enchaînement rigoureux des parties de la narration qui constitue précisément la loi du genre, ce fil conducteur grâce auquel “ tout tient ” comme on dit, et qui permet d’écarter, à l’inverse, tout ce qui dépasse.

À peine le maître a-t-il commencé son récit que celui-ci se retourne contre lui et que chacun des personnages se met en tête, tour à tour, d’en assurer la direction. Comme ils sont tous menteurs, abrutis, ivrognes ou simplement médisants, cela fait rapidement un joli capharnaüm. Le maître a beau essayer de ramener le calme, de limiter les débordements, de classer toutes les contributions selon l’origine, le degré de fiabilité, la cohérence par rapport au contexte, chacune de ses tentatives débouche sur un nouveau désaccord.

Mais ce livre destructeur est aussi le plus innocent qui soit. En prétendant coucher sur le papier ses Mémoires – au pluriel –, le maître a fait éclater la notion même de récits et c’est notre lecture qui s’en trouve désormais changée. Au lieu d’imaginer en vain quelque vérité criminelle ou dérisoire, mais toujours rassurante, derrière le rideau infranchissable des contradictions tendu par l’ennemi, nous ne regardons bientôt plus que la surface de l’écran qui nous enveloppe comme une voix multiple, inventive, poignante et drôle.

J. L. (1987)

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