Revue XXI, n°22
Presque aussi peuplée que la France, la Birmanie a été vitrifiée après un coup d’État militaire en 1952. Pendant plus de cinquante ans, une junte mafieuse a coupé le pays du reste du monde, ce qui ne dérangeait ni ses voisins, tant que leurs trafics de bois, minerais et pierres précieuses étaient protégés, ni les compagnies occidentales, qui y exploitaient du pétrole et du gaz bon marché.
Deux générations de Birmans ont été mises sous le boisseau : écoles fermées, récalcitrants embastillés, opposants torturés et humiliés. La répression n’a jamais faibli. Pourtant la flamme ne s’est pas éteinte. La Birmanie a longtemps été le premier centre universitaire d’Asie. Même au plus noir de la dictature, la soif de culture était inextinguible. Les Birmans louaient des livres dans des échoppes.
Le bouddhisme leur servait d’armure pour supporter l’oppression sans but, la dictature du rien. Tout était possible : modifier le sens de la circulation pour des raisons politiques – rouler à gauche, c’était être communiste ! –, déplacer la capitale au milieu de nulle part, déménager l’administration à une date fixée par des astrologues, troquer un beau matin les billets de banque pour les remplacer par d’autres, multiples de 9, le chiffre porte-bonheur du général Ne Win, à la tête du régime.
Alors que le pays sort de son hiver politique, le reportage de Thomas Dandois que nous publions dans ce numéro nous fait découvrir une opposante… de 16 ans et demi. Pour se saisir du micro, Cham doit se dresser sur la pointe des pieds, mais elle impose le respect à des assemblées de paysans spoliés. L’adolescente inconnue incarne une génération décidée à brandir le flambeau du prix Nobel de la Paix reçu par Aung San Suu Kyi.
Son énergie fascine, tout comme la manière dont les anciens prisonniers politiques s’effacent pour lui laisser place. Ils auraient pu revendiquer le leadership de la démocratie, ils ont choisi de faire confiance à la jeunesse birmane.
Quel contraste avec ce qui se passe ici ! En Europe, le chômage de la « génération perdue » s’envole dans l’Union : au sein de la zone euro, 25 % des moins de 25 ans sont sans emploi.
En Grèce, pour XXI, Marion Quillard a accompagné Nikos, le déménageur. Dans une économie qui implose, les expulsions et les changements de domicile sont nombreux. Un jour, un de ses déménageurs appelle ce patron fort en gueule : l’adresse d’arrivée est une simple bergerie sans eau ni électricité. Les clients insistent : c’est là qu’ils vont s’installer, avec leurs jeunes enfants. Rebâtir sa vie sur des ruines…
Chan la Birmane qui n’a peur de rien montre une autre voie. Elle rejoint le constat dressé par l’ancien médiateur de la République, Jean- Paul Delevoye, que Jean-Claude Raspiengeas a interrogé pour XXI : « La société se métamorphose à toute vitesse. Les élus savent qu’ils risquent de se retrouver en décalage s’ils conservent les lunettes d’hier pour regarder la société de demain. »
De toutes les missions que l’on peut assigner à un journal, la première est sans doute d’ouvrir l’avenir, de rendre possibles les rêves. Plusieurs auteurs publient leur premier grand reportage dans ce numéro, la moitié des collaborateurs des revues XXI et 6Mois a décroché son premier CDI en rejoignant l’aventure. Le 1er janvier 2000, ils avaient 10, 12 ou 15 ans. Leurs discussions, leurs rires, leurs coups de foudre et leurs coups de coeur irriguent notre travail et les pages de XXI. Normal : ce siècle est le leur.