Le rouge gorge, le dernier camp
C’est par Oranienburg Sachsenhausen, le « Dernier Camp », que j’aurais dû ouvrir cette longue enquête en plus de dix volumes sur « l’univers concentrationnaire » parce qu’Oranienburg Sachsenhausen, moins connu en France que Dachau, Buchenwald, Mauthausen ou Auschwitz était le tout premier « centre de rééducation et d’internement » créé par Hitler et Himmler et que très rapidement il devint « le camp des camps », siège de la direction de l’administration et de l’inspection de tous les autres camps de concentration ou kommandos, « laboratoire » expérimental du « système », « école » de la hiérarchie et des gardiens, « propriété privée » d’Himmler qui pouvait ainsi, à l’abri des regards, monter ses opérations spéciales et assouvir sa soif d’expérimentation dans tous les domaines, camp « trompe œil » enfin pour les enquêteurs, les commissions, les envoyés spéciaux des différents gouvernements alliés d’Hitler qui n’étaient autorisés à visiter qu’une minuscule partie du territoire, peuplée de « spécimens » représentatifs de cette sous-humanité « née pour pervertir et détruire ». Inutile de préciser que les « pensionnaires » offerts à la vue des dignitaires de l’Axe avaient été spécialement entraînés à subir ces épreuves.
Tous ces particularismes d’Oranienburg ont été abordés dans mes précédents dossiers. Avec « Le Dernier Camp », je pense avoir bouclé la boucle. Ce volume m’est le plus cher, pour des raisons que l’on comprendra facilement en lisant les pages qui vont suivre. À son retour de Neubrandebourg, une succursale de Ravensbruck, Micheline Maurel écrivit « Un Camp très Ordinaire ». Peut-être « Le Dernier Camp » aurait-il dû s’appeler « Une Déportation très Ordinaire » car son héros, ce Rouge-Gorge (le pseudo qui avait été attribué à mon père dans son réseau de résistance) bien qu’étant l’homme que j’aime et que j’admire le plus au monde, n’est pas – à première vue – un être d’eÎption. Paisible, tolérant, effacé, imperturbable et efficace, il n’a pas le brillant de ces régiments de « monstres sacrés » dont le seul nom provoque rassemblements, applaudissements et soupirs. Un héros ordinaire pour une déportation ordinaire, mais que l’on me pardonne de trouver plus de grandeur aux « aventures » de Rouge-Gorge et de ses amis qu’à celles de toutes ces « Bêtes à Bon Dieu » qui firent, pour le malheur de la France, un autre choix.
Avec « Le Dernier Camp », je pense avoir bouclé la boucle. Ce volume m’est le plus cher, pour des raisons que l’on comprendra facilement au fil des pages de ce livre.
À son retour de Neubrandebourg, une succursale de Ravensbrück, Micheline Maurel écrivit « Un Camp très Ordinaire ». Peut-être « Le Dernier Camp » aurait-il dû s’appeler « Une Déportation très Ordinaire » car son héros, ce Rouge-Gorge (le pseudonyme qui avait été attribué à mon père dans son réseau de résistance), bien qu’étant l’homme que j’aime et que j’admire le plus au monde, n’est pas – à première vue – un être d’eÎption. Paisible, tolérant, effacé, imperturbable et efficace, il n’a pas le brillant de ces régiments de « monstres sacrés », dont le seul nom provoque rassemblements, applaudissements et soupirs. Un héros ordinaire pour une déportation ordinaire. Mais quel homme ! quel père ! quel héros ! quelqu’un de vrai.
J’ai choisi de présenter ce récit-témoignage à la première personne. Celui qui parle, qui raconte, c’est mon père. J’ai utilisé ses notes, les pages et les pages rapides qu’il noircissait ces dix dernières années, à ma demande. Mais surtout, j’ai gardé au fond de l’oreille sa voix, ses mots, son rythme. Et puis, je sais qu’il est là, derrière moi, me tenant la main. J’espère ne pas l’avoir trahi en reconstituant le puzzle, en me mettant, pour la première fois, à sa place.
Si j’en ai décidé autrement aujourd’hui, ce n’est pas dans l’intention de « fabriquer » un héros de plus – Rouge-Gorge dit toujours : « Les seuls héros sont ceux qui sont morts. Lorsque l’on est un survivant, c’est que l’on ne s’est pas assez engagé, que l’on n’est pas allé assez loin » – mais simplement de mieux faire connaître un homme, comme il en existait quelques centaines, peut-être un ou deux milliers au début de la guerre. Des Français moyens. Simples. Sans arrière-pensées. Ceux dont on ne parle jamais dans l’histoire, dans les livres. Des hommes sans importance.