Le crépuscule des loups
J'ai été orgueilleux dans ce petit ouvrage : j'ai pensé qu'on pouvait être plus pessimiste qu'Esope ou La Fontaine. Esope était esclave et La Fontaine anarchiste ; cela signifie qu'ils regardent tous deux le monde par en bas. La comédie humaine leur apparaît dans toute sa brutalité ; les hommes sont des animaux, chacun griffant selon la longueur de sa patte.
Toutefois ils vivaient à des époques où il y avait encore quelque bonhomie ou quelque familiarité. Ce n'est pas notre cas. Les maîtres d'aujourd'hui sont plus sournois que ceux de l'Antiquité ; les rois d'aujourd'hui plus absolus que ceux du XVIIe siècle.
Je ne dis pas qu'il y ait des moralités nouvelles ; mais peut-être y a-t-il du noir où Esope et La Fontaine ne voyaient que du gris.
La fable, avec ses petits tableaux allégoriques, consiste à décrire gracieusement un univers sans pitié. Il est évident que rien n'a changé depuis le fond des temps, mais les siècles apportent des nuances. La Fontaine est plus subtil qu'Esope. Le fabuliste d'aujourd'hui voit peut-être quelques détails invisibles au temps de Louis XIV.