La société des individus
L'œuvre de Norbert Elias apparaît peu à peu comme essentielle pour comprendre la trajectoire de longue durée de la civilisation occidentale. Elias rédigea les trois essais qui composent cet ouvrage entre l'avant-guerre et 1986, un demi-siècle au cours duquel, toujours attentif aux transformations du monde contemporain, il ne cessa de réfléchir aux rapports de la société et de l'individu.
L'idée centrale qu'Elias développe ici est que les individus sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance réciproque et que ceux-ci sont comme la matrice constitutive de la société. C'est sous l'effet de cette imbrication que les comportements se sont modifiés au fil des siècles. L'idée moderne de l'individu - cet idéal du moi qui veut exister par lui-même - n'est apparue en Occident qu'au terme d'un long processus, qui est indissociable de la domination des forces de la nature par les hommes et de la différenciation progressive des fonctions sociales.
L'individu et la société ne sont donc pas deux entités distinctes, et leur rapport ne se pose pas aujourd'hui comme avant la guerre. La dépendance croissante des États les uns à l'égard des autres place les hommes dans un processus d'intégration au niveau planétaire. La création des Nations Unies et de la Banque mondiale en a été l'une des premières expressions. Le développement d'une nouvelle éthique universelle et, surtout, les progrès d'une conscience d'appartenance à l'humanité tout entière en sont des signes évidents. Mais nous ne sommes qu'au tout premier stade de ce processus d'intégration. Une chose est certaine : " Il ne peut que renforcer l'impuissance de l'individu face à ce qui se déroule au niveau supérieur de l'humanité.