La Saga de Gunnlaugr
Les sages islandaises, le Français sait, maintenant, de quoi il s'agit. Il n'ignore plus, par exemple, qu'il en existe plusieurs catégories, selon le sujet qu'elles traitent. Au total un nombre impressionnant de textes de toutes dimensions, que réunit le célèbre "style de saga" : ils illustrent, tous, une conception de l'homme, de la vie et du monde qui privilégie les valeurs d'action, dresse l'individu en face de son destin, le montre en train de se faire contre vents et marées, en refusant tout lyrisme, tout romantisme et toute outrance.
Nous nous intéresserons plus précisément ici aux "sagas des Islandais", ou, plus e¬tement encore, à l'une de leurs sous-catégories, les sagas dites de poètes, ou de scaldes, puisque tel est le nom du poète.
Celles-ci, qui font l'objet du présent volume, cumulent l'intérêt que nous pouvons professer pour le genre narratif et l'éventuelle passion que, d'aventure, nous nourrissons pour la poésie scaldique qui demeure, à ce jour, la plus sophistiquée des formes poétiques qu'ait jamais engendrées l'Occident. De plus, les deux textes qui constituent le présent livre ont l'originalité tout à fait étonnante de broder quelque peu — avec toutes les restrictions qu'imposait la vision islandaise des choses ! — sur le motif amoureux.
On va donc trouver dans ces sagas de scaldes, inédites en français : l'habituelle séries d'aventures plus ou moins héroïques sans lesquelles il n'existe simplement pas de saga ; un grand déploiement d'art poétique, c'est-à-dire de nombreux extraits de poèmes ; et la relation par le menu des heurs et malheurs du héros. La conjonction de ces trois traits suffit à assurer aux sagas de scaldes une place à part dans la production islandaise médiévale. (Régis Boyer)