L'Alpha et l'Oméga
Depuis l’avènement du président, on vivait sur la pointe des pieds : interdiction de se grouper à plus de trois, même en cour de récréation, gare aux cheveux longs, aux langues trop pendues, sans parler de l’interminable liste d’auteurs, de musiciens, de politiques qui végétaient en prison ou en exil. Dans sa capote marron, la casquette vissée sur un crâne rond où tintait un petit pois grêle en guise de cervelle, Cornaro le gendarme pointait le doigt sur Yann, avec des petits yeux noirs suspicieux en diable, à croire qu’il devait se soupçonner aussi le matin en se rasant. « Le chef veut te voir », a-t-il lancé, et pour signifier que ce n’était pas un poisson d’avril, il a agité une paire de menottes. » Dans la Crète des années 70, le pouvoir n’est pas e¬tement démocratique. Le président Papadopoulos surveille chaque citoyen et Zisis, le chef de la police de la cinquième région est son âme damnée. Or voici que Yann, touriste français, est convoqué au poste pour une conversation amicale. D’où il ressort qu’on l’accuse d’avoir tué Franchesca, une autre Française, une fille à l’air intello qui passait son temps à lire sur la plage. On les avait vus ensemble à la taverne. Et puis le corps de la fille a été retrouvé, nu, dans les collines. Auprès de son crâne fracassé, le passeport de Yann. Les preuves sont accablantes. Son seul alibi est un jeune homme de seize ans, Stavros, qui affirme que le « Gallos » ne peut avoir commis le crime puisqu’il a passé l’après-midi à la pêche en sa compagnie. Mais l’alibi en béton va se fissurer sous les coups de boutoir du retors Zisis qui ne manque pas de moyens de pression : en tant que futur beau-père (sa jeune sœur Marion est la fiancée de Stavros) et en tant que policier (il a promis à Stavros de retrouver la trace de son père évanoui dans la nature). Et quand on veut suborner un témoin, le plus efficace est encore de rédiger la déposition à sa place. Il ne reste qu’à la lui faire signer. Et en matière de manipulation, Zisis est un orfèvre…