Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers
Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers
Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes a été publié pour la première fois dans la revue Tel Quel en 1967. Le titre doit être pris littéralement : en 1964, suite au suicide de son compagnon, Jean Genet détruit les manuscrits sur lesquels il travaille, dont un consacré à Rembrandt. Quelque temps auparavant deux fragments en avaient été confiés à un traducteur, ce qui les sauve de la destruction.
Pour Tel Quel, Jean Genet les place en vis-à-vis sur deux colonnes, faisant de l'un le commentaire de l'autre, mise en forme radicale qui laisse entendre que toute parole est double.
Le premier fragment fait allusion à un épisode fondamental de sa vie : « un jour, dans un wagon, en regardant le voyageur assis en face de moi j'eus la révélation que tout homme en vaut un autre ». Cette expérience profondément humaniste est mise en regard du second fragment où il évoque sa fascination pour les peintures de Rembrandts.
L'épisode du train apparaît alors pour lui comme un événement aux conséquences fondamentales : si tout homme en veut un autre, la puissance érotique se délite, tout individu devenant le sujet possible de l'art.
Les seuls moments de ma vie que je pouvais tenir pour vrais, déchirant mon apparence et laissant à découvert... quoi ? un vide solide qui ne cessait de me perpétuer ? - je les aurai connus lors de quelques colères vraiment saintes, dans des trouilles également bénies, et dans le rayon - le premier - qui aillait de l'oeil d'un jeune homme au mien, dans notre regard échangé. Enfin dans ce regard passant du voyageur, en moi. Le reste, tout le reste, me paraissait l'effet d'une erreur d'optique provoquée par mon apparence elle-même nécessairement truquée. Rembrandt le premier me dénonça. Rembrandt ! Ce doigt sévère qui écarte les oripeaux et montre... quoi ? Une infinie, une infernale transparence.