La tentative amoureuse ou le traité du vain désir

Andre Gide

La tentative amoureuse ou le traité du vain désir
68 pages
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Popularité du livre : faible
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Préface :

Nos livres n’auront pas été les récits très véridiques de nous-mêmes, — mais plutôt nos plaintifs désirs, le souhait d’autres vies à jamais défendues, de tous les gestes impossibles. Ici j’écris un rêve qui dérangeait par trop ma pensée et réclamait une existence. Un désir de bonheur, ce printemps, m’a lassé ; j’ai souhaité de moi quelque éclosion plus parfaite. J’ai souhaité d’être heureux, comme si je n’avais rien d’autre à être ; comme si le passé pas toujours sur nous ne triomphe ; comme si la vie n’était pas faite de l’habitude de sa tristesse, et demain la suite d’hier, — comme si ne voici pas qu’aujourd’hui mon âme s’en retourne déjà vers ses études coutumières, sitôt délivrée de son rêve.

Introduction :

à Francis Jammes.

Certes, ce ne seront ni les lois importunes des hommes, ni les craintes, ni la pudeur, ni les remords, ni le respect de moi ni de mes rêves, ni toi, triste mort, ni l’effroi d’après tombe, qui m’empêcheront de joindre ce que je désire ; ni rien — rien que l’orgueil, sachant une chose si forte, de me sentir plus fort encore et de la vaincre. — Mais la joie d’une si haute victoire — n’est pas si douce encore, n’est pas si bonne que de céder à vous, désirs, et d’être vaincu sans bataille.

Lorsque le printemps vint cette année, je fus tourmenté par sa grâce ; et comme des désirs faisaient ma solitude douloureuse, je sortis au matin dans les champs. Tout le jour le soleil rayonna sur la plaine ; je marchais rêvant au bonheur. Certes, il est, pensai-je, d’autres terres que ces landes désenchantées où je menais paître mon âme. Quand pourrai-je, loin de mes moroses pensées, promener au soleil toute joie, et, dans l’oubli d’hier et de tant de religions inutiles, embrasser le bonheur qui viendra, fortement, sans scrupule et sans crainte ? Et je n’osais rentrer ce soir-là, sachant imaginer trop d’inquiétudes nouvelles ; je marchai vers les bois où déjà, jadis et tant de fois, ma tristesse s’était perdue. — La nuit vint et le clair de lune. Le bois se fit tranquille et s’emplit d’ombres merveilleuses ; le vent frémit ; les oiseaux de nuit s’éveillèrent. J’entrai dans une allée profonde où le sable à mes pieds luisait, et cette blancheur poursuivie me guidait. Entre les branches plus espacées, quand le vent agitait les arbres, on voyait flotter sur l’allée la forme insaisissable des brumes ; et, comme au milieu de la nuit la rosée ruissela des feuilles, des parfums s’étant élevés la forêt devint amoureuse. Il y eut des frémissements parmi l’herbe ; chaque forme cherchant, trouvant, faisant l’harmonie, les fleurs larges se balancèrent, et le pollen flotta, plus léger que la brume, en poussière. Une joie secrète et pâmée se sentait bruire sous les branches. J’attendais. Les oiseaux nocturnes pleurèrent. Puis tout se tut ; c’était le recueillement d’avant l’aube ; la joie devint sereine et ma solitude éperdue, sous la nuit pâle et conseillère.

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