La Soirée avec monsieur Teste
Un des chefs-d'œuvres de la prose française moderne.
Dans La Soirée avec Monsieur Teste, Paul Valéry explique pourquoi, à la recherche du succès littéraire, auquel il aurait pu légitimement aspirer, il a préféré autre chose. La quête du succès est nécessairement une perte de temps : "Chaque esprit qu'on trouve puissant commence par la faute qui le fait connaître. En échange du pourboire public, il donne le temps qu'il faut pour se rendre perceptible…"
Teste est un homme qui emploie mieux son temps : "J'ai fini par croire que M. Teste était arrivé à découvrir des lois de l'esprit que nous ignorons. Sûrement, il avait dû consacrer des années à cette recherche : plus sûrement, des années encore, et beaucoup d'autres années avaient été disposées pour mûrir ses inventions et pour en faire ses instincts. Trouver n'est rien. Le difficile est de s'ajouter ce que l'on trouve.
"Voici sans doute le programme ambitieux que s'est assigné Valéry à l'époque où il rédige sa fameuse Soirée avec Monsieur Teste.
Composite, énigmatique, Monsieur Teste a tout du livre culte : il ne donne pas seulement une œuvre à lire, une pensée à méditer, mais bien une éthique à suivre, celle qui porte à négliger l'œuvre au profit de la vie, ou plus e¬tement à «faire de sa vie une œuvre d'art».
Il marque les surréalistes, dont André Breton : «Je pensais qu'en Valéry, M. Teste avait à jamais pris le pas sur le poète. [ À mes yeux, il bénéficiait par-là du prestige inhérent à un mythe qu'on a pu voir se constituer autour de Rimbaud ] celui de l'homme tournant le dos, un beau jour, à son œuvre, comme si certains sommets atteints, elle repoussait en quelque sorte son créateur». "La bêtise n'est pas mon fort.". Dès la première phrase de "La soirée avec Monsieur Teste", le ton est donné. Valéry, jeune poète symboliste prometteur de 25 ans, décrète que l'intelligence sera au XXe siècle ce que la puissance créatrice fut au XIXe. Après le culte de l'art et du sentiment, la "sublime niaiserie du père Hugo" et les excès des romanciers, voici venu le temps du pur intellect, incarné par Teste, demi-dieu en pantoufles de petit-bourgeois, génie si clairvoyant qu'il renonce à sortir de l'anonymat.
Ce héros silencieux, sorte de condensé de la volonté de rigueur, de la maîtrise de toutes les opérations de l'esprit et du refus des à peu près trompeurs des émotions convenues et des normes sociales, fascine toujours des générations de lecteurs. Sa vie qui semble terne, cache en réalité la recherche d'un équilibre parfait entre les situations et les attitudes à adopter, démarche qui obsédera Paul Valéry.
Teste est le grand homme authentique, celui qui maîtrise sa pensée dans l'ombre tandis que les baudruches se pavanent en public. Valéry n'a pu se défendre d'avoir peint un autoportrait. Sa créature l'a accompagné toute sa vie, symbolisant le fil rouge de toute de sa carrière.
Borges, uni à Valéry dans la même quête persistante de son identité, décrit ce personnage mythique - «peut-être la plus extraordinaire invention des lettres contemporaines» - comme un sosie de son inventeur, Teste finissant par être identifié à son créateur. Et quand Valéry meurt, il lui rend un hommage qui aurait pu s'appliquer à Monsieur Teste : «…un homme qui, dans un siècle où l'on adore les idoles du sang, de la terre et de la passion, a toujours préféré les plaisirs lucides de la pensée et les secrètes aventures de l'ordre». On trouve dans le drame de Teste celui même de notre époque qui découvre que l'intellect ne domine et ne résout pas tout et qu'il est vain d'ignorer les autres dimensions de l'existence, dont celle du subconscient. Monsieur Teste, mi-essai philosophique, mi- conte abstrait, d'une extrême concision, écrit dans un style elliptique, presque haché, offre au lecteur une vision percutante de la machinerie intérieure de l'intelligence.