Toute personne qui tombe a des ailes
Comme l'annonce d'emblée sa traductrice et préfacière : «On n'en finit jamais de découvrir Ingeborg Bachmann». L'une des raisons est qu'elle a laissé derrière elle, du fait de sa mort soudaine, brûlée vive en 1973 dans sa chambre d'hôtel à Rome, des centaines de pages inédites.
Cette anthologie de son œuvre poétique a pour but de la révéler plus intimement, dans la vérité et l'acuité de sa démarche. Le présent volume n'a d'ailleurs pas d'équivalent, même en pays germanique : il présente l'œuvre lyrique dans sa continuité, des premiers poèmes composés par la jeune fille de seize ou dix-huit ans, inédits en français, et pour un certain nombre en allemand aussi, aux esquisses tardives, écrites jusqu'en 1967, mais publiées seulement en 2000 à titre posthume.
Le choix qui s'exprime dans ce livre (dont l'intitulé reprend l'un des vers d'Ingeborg Bachmann) tend à mettre en lumière la constance d'une quête, c'est-à-dire la précocité et la persistance de thématiques qui ne cessent de transparaître à travers la pluralité des formes et des genres, dans la réécriture de la tradition et dans sa déconstruction, dans la recherche surtout d'une nouvelle «logique» et de nouvelles manières de pensée et d'être. L'ombre, l'obscur, l'angoisse, l'expérience quasi originelle des ténèbres, mais également un vif appétit de vie, allié à une soif de lumière et d'amour, hantent toutes ces pages, parfois jusqu'à l'obsession. Avec la conscience aiguë qu'une vocation de poète, s'il lui arrive d'avoir parfois l'oreille des dieux, ne peut échapper à une certaine malédiction, et se doit de payer un tribut aux morts.