Passions impunies
Nul autre que Chardin, dans son tableau Un philosophe occupé de sa lecture, n'a mieux dépeint cet acte : le philosophe a revêtu un habit de cérémonie, car la lecture est un acte de courtoisie à l'égard du texte, entrée en commerce du lecteur avec un auteur et ses mots ; il s'est entouré de dictionnaires et d'autres volumes, car les mots lui arrivent chargés de tout ce que leur histoire contient en puissance ; il a préparé sa plume, car la lecture est réponse à un texte, grâce aux annotations marginales, aux notes prises, aux citations relevées.
Dans le silence de son étude, il va apprendre des passages par cœur, sur lesquels, devenu lui-même écrivain, il fera fond, comme les grands écrivains d'Occident qui n'ont cessé de reprendre quelques thèmes uniques et singuliers - telles les deux cènes, du Christ et de Socrate -, imposant la littérature comme réseau de résonances. Dans le inonde numérique de demain, que restera-t-il de ces passions impunies, de ces lectures bien faites, pour reprendre la formule de Péguy ? Mourir plutôt que d'abandonner, dans sa cité livrée au pillage, une déduction géométrique, tel avait été, aux origines de notre continent, le choix d'Archimède.
La culture, réponse à la barbarie, est notre destin. Ce destin, il se trouve encore à Syracuse - Syracuse en Sicile plutôt que dans l'État de New York.