Manet
Manet ne cria pas, ne voulut pas s’enfler : il chercha dans un véritable marasme : rien ni personne ne pouvait l’aider. Dans cette recherche, seul un tourment impersonnel le guida.
Ce tourment n’était pas celui du peintre isolément : même les rieurs, sans le comprendre, attendaient ces figures qui les révulsaient mais qui plus tard empliraient ce vide qui s’ouvrait en eux.
Le Manet de Bataille est presque un personnage. Personnage littéraire d’abord, ami des plus grands poètes et écrivains de son temps, Baudelaire, Zola, Mallarmé, qui tous lui ont écrit ou ont écrit sur lui. C’est à ces sources privilégiées que s’abreuve Bataille pour dépeindre un Manet déjà romanesque, quoique falot : « un homme du monde, à vrai dire en marge du monde, en un sens insignifiant », « au-dedans, rongé par une fièvre créatrice qui exigeait la poésie, au-dehors railleur et superficiel », « un homme entre autres en somme, mais charmant, vulgaire… à peine. »
Manet utilité, donc – mais en même temps nécessité de l’histoire de l’art, « instrument de hasard d’une sorte de métamorphose », homme par qui le scandale arrive bien malgré lui, initiateur innocent de la « destruction du sujet » : « c’est expressément à Manet que nous devons attribuer d’abord la naissance de cette peinture sans autre signification que l’art de peindre qu’est la “peinture moderne”… C’est de Manet que date le refus de “toute valeur étrangère à la peinture”. » C’est alors en continuateur des grandes exégèses de Valéry et surtout de Malraux que Bataille s’exprime.
Là où il est tout entier lui-même, et inimitable, c’est dans les intuitions par lesquelles il traverse l’œuvre du peintre comme la foudre, appuyant sa vision sur une sélection de tableaux qu’il légende avec brio. À supposer que ce Manet ne soit pas le vrai, il n’en possède pas moins sa valeur propre.