Les berceuses

Federico Garcia Lorca

Les berceuses
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‘‘Il y a quelques années, en me promenant dans les alentours de Grenade, j’ai entendu une femme du peuple chanter pendant qu’elle faisait dormir son enfant. J’avais remarqué depuis toujours l’extrême tristesse des berceuses de notre pays, mais jamais comme alors je n’ai senti aussi concrètement cette vérité.’’

Personne n’oublie la douceur des berceuses de son enfance... Mais dans cette conférence donnée en 1928, le poète espagnol fait entendre de tout autres chansons.

Les mélodies qui endorment les chérubins espagnols depuis leur plus jeune âge sont, à l’inverse des berceuses européennes, emplies d’une profonde tristesse et d’une splendide mélancolie. Pour les faire entrer dans la cruelle réalité, les mères apaisent par la mélodie et les paroles, révèlent à leurs niños les douleurs et les drames de leur monde. Loin de leur faire croire à une existence parfaite, les mères préviennent les petits de la dureté de la vie qui les attend et des malheurs qu’ils rencontreront.

García Lorca nous fait entendre les chansons fredonnées par les mères aux quatre coins de son pays : le chant de la femme adultère qui envoie un message à son amant, la paysanne qui pleure son malheur de ne pouvoir subvenir aux besoins du nouveau-né à qui elle chante son amour mais aussi son mal de vivre, sa rancœur. De quoi calmer n’importe quel petit monstre récalcitrant.

Être bercé, ce serait donc apprendre à vivre ? García Lorca nous soumet à ce rite à la lisière des rêves et nous entraîne dans une Espagne à l’image de sa verve visionnaire et poétique : aride, eÎssive et ardente.

Traduit de l'espagnol par Line Amselem.

Édition bilingue, 2018.

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García Lorca avait observé que, contrairement aux berceuses européennes qui sont douces et tendres, les « chansons de berceau » espagnoles, du nord au sud (eÎpté au Pays Basque) étaient tristes :

“Il y a quelques années, me promenant dans les alentours de Granada, j’entendis chanter une femme du village qui endormait son enfant. J’avais toujours remarqué la tristesse aiguë des berceuses de notre pays ; mais jamais je n’avais ressenti cette vérité si concrète comme ce jour-là. En m’approchant de la chanteuse pour noter la chanson j’ai observé que c’était une belle andalouse, gaie et sans le moindre tic de mélancolie ; mais une tradition vive travaillait en elle et elle exécutait fidèlement l’ordre, comme si elle écoutait les vieilles voix impérieuses qui glissaient dans son sang. Depuis lors j’ai essayé de recueillir des berceuses de partout en Espagne ; j’ai voulu savoir comment les femmes de mon pays endormaient leurs enfants, et après un temps j’ai eu l’impression que l’Espagne emploie ses mélodies pour imprégner le premier sommeil de ses enfants.

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