Les Abandonnés
Pourquoi la France, qui se voulait la nation de l’art de vivre, de la mesure et de la démocratie, a-t-elle été le pays développé qui a le plus mal logé ses habitants, et s’est-elle enfoncée dans une perpétuelle crise du logement, cause d’un malaise urbain dont elle peine encore à s’extraire ? Avec Les abandonnés, on pénètre dans les appartements de Sarcelles ou de la périphérie lyonnaise, on partage la vie des locataires, on revit de l’intérieur les années 1950 et 1960.
Nous avons aujourd’hui une vision faussée des problèmes des banlieues : dans l’esprit d’une partie du grand public et des responsables politiques, la dérive des quartiers commencerait après la crise économique de 1974, et serait liée à l’immigration. Or Xavier de Jarcy, en reconstituant la chronologie de la genèse des quartiers de banlieue étape par étape, et en restituant la parole et les différents points de vue de tous les intervenants – ministres, élus locaux, architectes, constructeurs, promoteurs, démographes, géographes, et bien entendu habitants –, nous montre que les erreurs d’urbanisme et la ségrégation sociale ont commencé bien plus tôt.
Nés de théories hygiénistes formulées dans l’entre-deux-guerres, les grands ensembles devaient mettre fin aux taudis, mais aussi façonner une population saine, morale et productive dans un pays mis en ordre, et les cités sont l’aboutissement inachevé de ce projet d’hygiénisme social. Leur législation s’esquisse en 1943 à Vichy, qui pose le principe d’un urbanisme autoritaire et d’une reconstruction collective qui sera repris à la Libération. C’est dans le cadre d’un « dirigisme sans argent » que les nouveaux quartiers seront érigés. On construit mal, n’importe où, n’importe comment. Au tournant des années 1970, la France est le seul pays d’Europe à connaître encore une crise du logement. Le libéralisme succède alors brutalement au dirigisme. Avec pour conséquence que les derniers grands ensembles, déréglementés, accumuleront des problèmes non résolus à ce jour.