Le Corps
A l’automne de sa vie, Adam s’estime plutôt comblé, tant sur les plans personnel que professionnel. C’est un dramaturge reconnu ; sa vie de couple est riche et vivante, etc. Mais Adam sent comme un voile gris qui met en sourdine son énergie vitale : il ne souffre d’aucune maladie, certes, mais il est devenu un peu dur d’oreille, son dos le tracasse… et Adam ne trouve plus sa place dans les bars branchés qui ont remplacé les troquets du quartier, de même qu’il ne s’y retrouve plus dans la production artistique contemporaine. En bref, Adam sent la vieillerie rétrécir son existence. Aussi accepte-t-il de se lancer dans une expérience folle : changer de corps, rien de moins, par la magie d’une opération chirurgicale : son cerveau sera transplanté dans la boîte crânienne d’un jeune homme dont il aura choisi le corps dans un hangar réfrigéré, parmi des rangées de corps sains, vigoureux et morts. Six mois plus tard, son cerveau réintégrera sa dépouille d’origine et lui-même reprendra le cours normal de sa vie. Adam s’adonne alors à des expérience et des plaisirs qu’il n’a jamais connus, découvre la liberté du voyage, etc. Il se livre sans auto-censure à toutes les expériences qui s’offrent à lui : vagabondage sexuel, prostitution, drogues. Paradoxalement, c’est la vieillesse d’Adam qui lui permet à présent de percevoir la jeunesse de son corps et d’en jouir sans entraves. Adam n’a pas remis le compteur à zéro : son expérience, ses connaissances, ses souvenirs, sa maturité l’accompagnent. Et sans savoir ce qu’il en est, les gens qui croisent Adam dans sa nouvelle peau sont attirés par son mystère. Bientôt cependant, Adam mesure tout ce qui lui tient à cœur dans son ancienne vie : sa femme et ses enfants lui manquent, mais aussi son inscription dans le temps, l’historicité de sa vie qui fait de lui, et de chacun de nous, un être humain. Adam décide de mettre terme au contrat plus tôt que prévu. Il retourne à la clinique mais ne trouve qu’une friche industrielle et comprend qu’il ne pourra jamais réintégrer son corps et sa vie…