Fatum T5 - Le 9è cartel
Le destin ne se contourne pas, il s'éradique. Tel pourrait être la formule définitoire, consonant avec la phrase finale du jeune Don Francesco Cenetone "j'emmerde le fatum", dans ce cinquième tome clôturant une série épique. Tout semble pourtant prédestiner Don Francesco à devoir succéder à sa mère abattue par une impitoyable tueuse russe, en restant seul à la tête des trois familles de la mafia mondiale qui lui contestent cette place depuis L'Héritier. La vengeance de l'héritier en culottes courtes amateur de sucettes (qui n'est pas sans nous rappeler certain guitariste hystérique de hard-rock), âgé seulement de 12 ans, sera sanglante. La provocation initiée par le lancement de la série en 1996 est ici portée à son comble, tant au niveau graphique que scénaristique. Car l'essentiel réside moins dans la finalité de l'action que dans son exécution, et c'est peu dire que de souligner à quel point le dessin joue des espaces pour accuser la folie meurtrière quand elle se déploie. Bien appuyé par une colorisation se jouant des reflets et des lueurs, il n'est pas rare, pour le plus grand plaisir du lecteur et de l'amateur de mangas, que le débordement des cases et leur dissymétrie sciemment accusée s'étendent parfois d'une page à l'autre, donnant naissance à des panoramas transversaux dignes d'une BDcinéscope ultraviolente qui ne ménage jamais ses effets. À signaler à cet effet, l'intéressant empiétement des protagonistes d'une case à une autre, manière de briser la linéarité de la lecture et de s(t)imuler l'intensité de l'action. Même l'éthique se trouve honorée, paradoxe suprême, par une saga dont elle était jusqu'alors absente ô combien, grâce à un ultime renversement. C'est que le parrain des cartels du monde entier est plus attiré par les formes plénières de sa garde du corps attitrée (soyons honnête : on le comprend) que par l'escalade d'une violence qui l'a déjà trop bercé ! Preuve en est donc que, malgré les apparences et le flot tant d'hémoglobine que d'implosions corporelles jalonnant ce dernier volet, tout n'est pas si noir dans le monde des cartels régi par cet obscur destin auquel les Anciens donnaient le nom de Fatum. Un reflet de la Nécessité qui, chez certains penseurs italiens auxquels ses origines inclinent peut-être le jeune Francesco, se trouvait précisément combattu sous la forme de la Fortuna, personnifiée par une charmante femme... Donc Cenetone serait-il donc aussi sage qu'il est riche ? Voilà qui nous rassure tous quant à son avenir loin du monde de la bande-dessinée ! --Frédéric Grolleau