La cité du Ponant a toujours abrité aventuriers et rêveurs, le manager du groupe de rock Last ExitTo Brest y a sa place. Placé au centre d'une série de meurtres obscurément liés, ce colosse au coeur tendre est prêt à tous les sacrifices par amitié. Aux prises avec la vérité officielle relayée par la presse, entouré de perdants magnifiques amoureux de leur musique, l'inoubliable Alban Le Gall affronte la tragédie qui décime son entourage.

Mêlant rock et énergie poétique, son fantôme hantera longtemps encore les arrière-salles de bars et les rues venteuses du port de Brest.

Claude BATHANY est né en 1962 à Brest, où il vit. Il écrit ici son premier roman.

Extrait du livre :

On ne va pas se mentir, chez Charlène Cozien, sur scène, on perçoit tout de suite non seulement la voix calcinée, sourde, à la limite de la rupture, mais aussi la silhouette maigre, imbaisable, l'épiderme sans grâce, les commissures un peu torves des lèvres, le regard de tabac froid, le faciès s'achevant en véritable scandale capillaire avec des racines que les colorations et le panachage alcool-fumette ont prématurément desséchées. Un jour, d'elle, je ferai un poème rock, avais-je dit un soir à Yann Kerellec (j'étais chaud), ajoutant : un poème rock soutenu par une basse sauvage, un riff ambigu creusant encore et toujours le même accident tonal. Yann Kerellec avait rétorqué : elle est un accord de 7e au moment où l'une des cordes se fait la belle. Je n'avais pas répondu mais je savais que, comme tout hétéro, il avait mis à côté de la plaque. Je m'étais fait la réflexion que seul un amateur de mecs comme moi pouvait comprendre Charlène. Nous, les homos, on a une qualité d'écoute extraordinaire qui peut passer pour de l'inexpressivité passive. On observe vraiment les gens jusqu'à percevoir leurs plus lointaines illusions fossiles. Pourtant, les toutes premières fois, ne sachant nullement qu'elle chantait, j'avais cru discerner chez Charlène un tel manque d'horizon affectif qu'à son égard je n'avais éprouvé qu'une pitié teintée de mépris. Puis, tout à coup sur scène, parce que sa voix dans les aigus débouchait sur des fêlures proches des miennes, c'est tout bête à dire mais elle avait fait reculer mon propre horizon.

La première fois que je l'ai vue, un soir d'août 1997, j'assurais, depuis une semaine, la sécurité à l'entrée d'un bar de nuit dans le quartier Saint-Marc. Elle s'était pointée vers minuit et m'avait dit qu'elle était l'amie d'un des barmen mais, connaissant le mâle en question, je n'avais pas voulu la croire.