L'âge de la conversation
Du règne de Louis XIII à la Révolution, la société française a élaboré un art de vivre dont la conversation fut l'ingrédient essentiel. Née comme un simple passe-temps, comme un jeu destiné au délassement et au plaisir, bientôt élevée au rang de rite cardinal de la société mondaine, elle s'ouvrit peu à peu à l'introspection, à l'histoire, à la réflexion philosophique et scientifique, au débat d'idées. Son théâtre privilégié était les " ruelles ", puis les salons où la noblesse, ayant déposé les armes et exclue de la sphère politique, fondait désormais sa supériorité sur un code raffiné de bonnes manières et un idéal de perfection esthétique. Dans cet espace de liberté disjoint de la Cour, ce sont les femmes qui dictaient la règle du jeu et présidaient aux échanges entre mondains et gens de lettres, contribuant ainsi de façon décisive à la formation du français moderne, au développement de nouvelles formes littéraires, à la définition du goût. De la marquise de Rambouillet à Madame du Deffand et Julie de Lespinasse, en passant par la duchesse de Longueville, la marquise de Sévigné, Ninon de Lenclos, autant de figures emblématiques par lesquelles Benedetta Craveri s'est laissé guider pour retracer de l'intérieur, dans sa chatoyante diversité, l'histoire de cette société mondaine qui fut un phénomène unique en Europe. Et son livre, élégant, savant sans en avoir l'air, comme le demandait l'idéal de la conversation, nous fait comprendre pourquoi ce monde disparu continue d'exercer un attrait irrésistible. C'est alors qu'est née l'idée d'une élite fondée sur le principe de la cooptation entre des hommes et des femmes qui se voulaient égaux et se choisissaient sur la base d'affinités réciproques. C'est alors que l'homme moderne a fait de la sociabilité un art et l'a portée à sa suprême perfection.