En retard sur la vie
Publier des romans ne m empêche pas de rater ma vie amoureuse. Mais lorsqu une réalisatrice m a demandé d embrasser Meryl dans le champ de la caméra, mon c ur a basculé. À l image, c était un baiser de cinéma, pour nous, le début d une histoire. Meryl n était pas figurante comme moi, c était une vraie comédienne, et en amour elle n acceptait que le premier rôle. Peut-on s aimer lorsque l un crée des personnages et que l autre en interprète ? Moi j aimais comme j écrivais, comme si mon sentiment ne pouvait se dévoiler qu entre les lignes. Meryl affirmait qu aimer c est appartenir à l autre ; je répondais en m isolant de longues semaines avec mon manuscrit. Dans mes livres la passion prenait toute la place, mais jamais je ne suis parvenu à concilier deux histoires, celle que je vis et celle que j invente. Je m en disculpais en feignant de croire qu elle évoluait comme moi dans la fiction, alors qu elle s acharnait à me ramener dans la réalité. Comme les décors ont un envers, le romantisme a sa face cachée. Souvent, j imagine les gestes que je devrais faire pour éviter une dispute, les mots que je devrais prononcer pour sceller une réconciliation. Puis j y renonce. Je ne donne la réplique qu à mes personnages. L écriture est si possessive qu elle m empêche de vivre. Pourtant je ne voulais pas passer à côté de la vie. Ni à côté de Meryl.