Corps pour corps
En 1969, Jeanne Favret-Saada s'installe dans le Bocage pour y étudier la sorcellerie. Personne ne veut lui en parler. Tenir un journal paraît alors le seul moyen de circonscrire un «objet» qui se dérobe : relater les conversations, incidents, coutumes qui pourraient avoir un lien quelconque avec la sorcellerie, noter systématiquement comment les gens refusent d'en parler. Dans la formulation même de ces refus se révèle peu à peu une conception du monde centrée sur l'idée de «force».
Un jour, tout bascule : parce qu'ils lui attribuent cette «force», des paysans demandent à Jeanne Favret-Saada de les désenvoûter. Un autre ensorcelé, qui devine sa peur, lui annonce qu'elle est «prise» et l'adresse à sa désorcelleuse. Dès lors, continuer à écrire permet à l'ethnographe de manier des situations incompréhensibles et dangereuses, de supporter l'enjeu mortel de toute crise de sorcellerie : «Corps pour corps, c'est lui qui y passe, ou c'est moi.»
Les auteurs:
Ethnologue, Jeanne Favret-Saada est née en 1934. Agrégée de philosophie, elle enseigne à l'Université d'Alger de 1959 à 1963, puis à l'Université de Nanterre. En 1969, elle s'installe pour plusieurs années dans le bocage normand afin d'étudier la sorcellerie paysanne. Elle publie en 1977 Les Mots, la mort, les sorts, qui dévoile la complexité du système d'ensorcellement et de désorcellement. Ces recherches l'ont aussi amenée à la pratique psychanalytique avec Josée Contreras, afin de comprendre le fonctionnement psychologique de la sorcellerie. Elle poursuit actuellement ses travaux dans ce domaine.
Josée Contreras est psychanalyste. Outre Corps pour Corps, elle a également publié en collaboration avec Jeanne Favret-Saada Le christianisme et ses juifs (2004).