Amphitryon, d'après Molière
C'est un événement grotesque, extravagant comme un conte, et pourtant c'est comme la lumière du jour. (Sosie)" Une lanterne à la main, Sosie s'approche de Thèbes. Amphitryon l'a chargé de relater sa victoire sur Labdaque à Alcmène son épouse. Mais le valet se voit roué de coups par son double, Mercure. Sosie raisonne, puis se laisse convaincre de rebrousser chemin. La nuit vient à finir, la déesse de l'aube ne pouvait la retenir davantage, et Jupiter quitte la couche d'Alcmène, ses traits sont ceux d'Amphitryon. Si Kleist s'attelle à une "comédie inspirée de Molière"– choix curieux de prime abord– il ne renonce en rien au thème récurrent de son œuvre : l'intenable position de l'individu, qu'il soit en but à la société, à la réalité ou, ici, aux apparences et aux dieux. Quand Sosie et la population de Thèbes transigent ou hésitent devant l'incroyable, Alcmène et Amphitryon ne lui abandonnent rien, ils préfèrent disparaître. L'écriture dramatique de Kleist reflète à merveille la coexistence des genres qu'il affectionne : roueries et pitreries chez Sosie ; ardeur éperdue et intransigeante pour Alcmène ; rectitude d'Amphitryon. Sans jamais permettre ni mélange ni amalgame, l'auteur impose une singulière torsion à la comédie de Molière.--Bertrand Gosselin