Mon livre surprise
Primavera Toscana
Elle errait dans les pièces sombres du logis, emplie de ce bonheur sacrificiel et obscurément dévoyé qui lui donnait à son insu le même sourire de sainte que celui qu'elle eut sur le chemin d'Arezzo, aux côtés de son premier et seul amant, et qu'elle perdait au réveil, car elle avait à présent peur de la lumière, du vacarme, des remugles de la ville, de tout ce qui n'était pas l'asile feutré où ses forces et celles de son père se consumaient comme, au point du jour, toutes les bougies éclairant cette demeure où l'on ne vivait plus qu'après le crépuscule.
Un matin, elle s'éveilla tremblante d'horreur à la pensée que c'était elle, Serenella, qui tuait son père en restant si tard à ses côtés, que c'était à cause de ces immenses nuits où il se grisait de vin, de verbe et de l'âcre plaisir qu'il prenait à condamner l'humanisme, à cause de ces veillées où il avait tant d'enjouement et de curiosité pour les discours, si singuliers dans la bouche d'une jeune fille, qu'elle lui tenait - que c'était à cause de cela qu'avancerait l'heure de sa mort.
Elle sut, dans le même temps, qu'il fallait que ce fût elle, son enfant, son disciple et son contradicteur, qui l'aidât ainsi à mourir, elle qui écrivait, en toute lucidité, le testament de cet homme.