Mon livre surprise
Poèmes d'amour désespéré
Lorsqu’on lit la poésie de Silvina Ocampo (Argentine, 1903-1993), on se promène dans le jardin circulaire de son enfance ; c’est le soir, avec ses flammes et ses parfums mêlés qui montent de la terre ; c’est l’amour et la mélancolie ; c’est la rivière et ses timbres, les couleurs qui s’y reflètent, s’y répètent altérées à peine, c’est le silence de la sieste ; c’est une transparence palpable, tiède, sensuelle, matière des rumeurs, de l’air, des ombres. Et en réalité on ne lit pas ; le lecteur déambule près de lui-même, comme si le texte, dont il a entrepris la lecture, l’avait invité à laisser le livre de côté et à sortir pour se perdre dans les sentiers d’une lumière intime, où les fleurs, le lierre, les plantes, les arbres, poussent et s’enlacent à leur guise. Nul n’organise cette nature enchantée, où s’exhalent les mystères guidés à peine par un regard passionné.
Ce regard est aussi visionnaire, Borges nous le rappelle :
Il y a chez Silvina Ocampo une vertu qu’on attribue communément aux Anciens ou aux peuples d’Orient, et non à nos contemporains. C’est la clairvoyance ; plus d’une fois, et non sans un début d’appréhension, je l’ai sentie en elle. Elle nous voit comme si nous étions en cristal, elle nous voit et nous pardonne. Essayer de la tromper est inutile.
Silvina Ocampo et son époux, Adolfo Bioy Casares, furent très proches de Borges, chacun de différente manière, et, à ce trio qui s’échangeait des livres, récitait à tour de rôle des poèmes et écrivait de concert des oeuvres, on pourrait ajouter, non seulement Wilcock, le poète de toutes les langues, mais encore Macedonio Fernández qui, outre l’humour, partage avec Silvina Ocampo cette façon d’être soi-même une création délirante, éternellement inachevée.