Mon livre surprise
Le temps sensible
Dans quel temps vivez-vous ? Celui de vos projets ou celui de vos rêves ? Du souci ou du plaisir ? Du métro ou de la grève ? De votre journal ou de votre religion ? Plus que jamais unifiés par l'information, les hommes n'ont pourtant jamais vécu des temporalités aussi disloquées, hétéroclites, inconciliables.
A la charnière du XIXe et du XXe siècle, Marcel Proust a recherché le " temps perdu " dans le " temps incorporé " du roman, répondant ainsi aux questions les plus actuelles. Tissé de perceptions et de fantasmes, le temps proustien - qui n'est ni celui de Bergson, ni celui de Heidegger - devient sensible. A l'imaginaire avide du lecteur, le narrateur offre l'appât savoureux de ses personnages : Swann et Odette, Bloch, Oriane, Verdurin, Albertine, Charlus dont cet essai aide à retrouver les caractères mêlés aux paysages, églises, dalles et aubépines.
Pourtant, dans les plis de longues phrases, dans le cumul des brouillons et des lettres, dans la cruauté et le ridicule des passions, l'insignifiance des amours et le néant des êtres brusquement s'imposent. Les personnages se contaminent et se brouillent, une profondeur secrète les attire. Telle la madeleine trempée dans le thé, ils perdent leur contour absorbé par le style.
Ces héros, ces visions, fruits d'une imagination dont Proust disait qu'elle était son seul organe pour jouir de la beauté, finissent par nous laisser un goût, un seul, âcre et tonique : le goût de l'expérience littéraire.
Du roman comme thérapie, comme transsubstantiation