Mon livre surprise
La danseuse de Yangge
La vie peut-elle être banale ? Dans les deux nouvelles de Chi Zijian, sous l'apparente monotonie quotidienne d'une bourgade mandchoue, qu'elle soit ancienne ou moderne, les passions couvent et il arrive que la violence se déchaîne. Ainsi l'appât du gain conduit-il au vol, la faim sexuelle au viol, le dégoût au meurtre, l'humiliation au suicide vengeur ; le rémouleur joue les Don Juans et le lettré meurt d'amour pour la jolie danseuse de Yangge. Mais ce qui rassemble les villageois, c'est l('attrait unanime du merveilleux, produit de l'imaginaire, de l'art et de la nature. Comme si le bonheur, collectif ou individuel, ne pouvais se nourrir que de l'eÎptionnel, de l'extraordinaire : beauté scintillante de la jeune danseuse entr'aperçue un bref instant, parfois au prix de souffrances définitives ; nuits blanches où s'effacent les ombres d'une vie conjugale manquée. Hommes et femmes vivent dans l'attente constante de l'émerveillement, ils en cultivent à satiété le souvenir et le fantasme, s'enivrent, coûte que coûte, de son retour fugace et disparaissent, un jour "banal", d'accident ou d'usure. Le fleuve Amour peut bien rouler ses vagues, tantôt paisibles ; tantôt tumultueuses, l'artiste, dans ses meilleurs moments, ne retient pour ses estampes que la brume poétique qui enveloppe ses rives et les nimbes d'un halo qui en fait disparaître jusqu'aux aspérités
Claude PRIN