Mon livre surprise
Glissements progressifs du plaisir
Dans une prison pour mineures tenue par des religieuses, une très jeune fille est enfermée sous I’inculpation d'un assassinat qu’elle nie : Nora, l'amie avec qui elle vivait, a été retrouvée morte, attachée sur leur lit, de longs ciseaux de couturière enfoncés dans le sein gauche, jusqu au cœur.
L'adolescente, appréhendée dans l'appartement du crime par l'inspecteur de police qui vient d'y découvrir le beau corps ensanglanté, est restée muette et comme absente devant ses multiples questions, dont certaines paraissaient d'ailleurs plutôt déraisonnables. Elle a murmuré seulement quelques mots lointains, parlant d'une plage déserte, où elle se trouverait en ce moment même, et de la mer qui déferle à ses pieds...
On la retrouve dans sa cellule de prison pièce cubique toute blanche qui rappelle par sa lumière l'appartement des deux filles (tout blanc lui aussi et presque aussi dépourvu de mobilier, dont seules les vastes dimensions, les multiples portes, les nombreuses baies à voilage translucide contrastent avec le caractère clos très sensible ici). La prisonnière, plus souriante, plus loquace, mais toujours aussi peu soucieuse de logique causale que de morale ou de simple pudeur, donne à un magistrat instructeur la version des faits à quoi elle se raccroche : l'assassin est un homme qu'elle ne connaît pas, un malade sans doute, qui a soudain fait irruption chez elles...
Le peu de preuves qu’elle apporte, ses réticences sur des points essentiels, ses silences, ses contradictions, son goût marqué pour la provocation et l'humour, tout cela est loin de l'innocenter, de même que le jeu consistant à inventer elle-même des hypothèses plus ou moins saugrenues, sous prétexte d’aider à découvrir une vérité dont elle semble en fait se préoccuper fort peu.
Ce qui apparaît en revanche de scène en scène, c'est que, coupable ou innocente, la jeune fille est en tout cas fascinée par l'idée du sang répandu – sang du crime, sang du cycle féminin, sang de la défloration – peut-être même par l'idée de boire le sang des autres, ou de leur faire boire son propre sang.
Le premier qui succombera à ces fantasmes est le magistrat : abandonnant progressivement ses raisonnements et ses colères, il finit par accepter, comme dans un rêve, de lécher une petite blessure au pied que la prisonnière s'est faite (était-ce par mégarde ?). Puis ce sera le tour d'une religieuse trop confiante, puis d'un pasteur exalté, moins habité par son dieu que par les démons grotesques de l'enfer. L'un après l'autre, ils oublient les devoirs de leur charge, ils tombent dans la maladie ou le délire, ils disparaissent.
Cependant, à travers les récits changeants de sa vie avec Nora que poursuit la détenue (dans l'appartement blanc, sur une immense plage vide, dans un vieux cimetière de campagne, etc.), à travers les expériences de subversion et de souillure, aux épisodes tour à tour violents et tendres, hiératiques, troublants, enfantins ou cruels, à travers aussi les souvenirs plus anciens peuplés de passions féminines et d'accidents mortels, se développe, à côté de ce goût du sang et du jeu, l'architecture mobile qui relie par des glissements successifs les divers objets retenus par l'enquête comme pièces à conviction (bien qu'ils aient d'abord semblé privés de sens) : une chaussure d'été, un prie-Dieu, une bouteille cassée, une pelle de fossoyeur, un verre de grenadine trop rouge, trois œufs dans un bol...
Mais voici que, dans la cellule, entre en scène une jeune avocate dont les traits – sinon le comportement, les paroles ou le costume – rappellent curieusement ceux de Nora. Mettant plus de persévérance que les autres, plus de méthode et plus de perspicacité, l'avocate devient vite pour sa petite cliente la plus tentante des proies. Prise dans l'enchevêtrement des histoires passées, émue aussi par les relations effarantes que lui fait la prisonnière concernant ce qui se passerait ici même, au-delà des parois immaculées de la cellule (images remontées d'un Moyen Âge de roman populaire, où, sous l'œil glacé d'une religieuse souveraine, fleurissent les amours lesbiennes, les humiliations rituelles et les supplices de l'Inquisition), entraînée enfin dans un monde de chaînes, de feu, de baisers, de couteaux et de morsures, l'avocate peu à peu s'identifie à la trop séduisante assassinée, par une série de modifications, d'abandons, de charmes, qui la conduiront jusqu'à l'accident fatal, où les dernières pièces du procès doivent enfin trouver leur juste place.
Ce texte est le résumé initial du film, ce qu'on appelle couramment un synopsis. La partie principale du livre est constituée par le projet détaillé : la continuité dialoguée. Enfin une dernière partie donne le relevé exhaustif du montage, plan par plan.