Les soeurs Vatard

Joris Karl Huysmans

Les soeurs Vatard
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Popularité du livre : faible
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Préface de Éléonore REVERZY

« C'est un peu lâche de style, trop barbouillé de couleurs, et sans faits extraordinaires ni poignants. La sauce ravigote pour faire avaler ce poisson est fournie par le cynisme ».

(Huysmans à Zola)

Les Sœurs Vatard est-il un roman naturaliste ? Autant que Marthe, cette Histoire d'une fille parue en 1876, plus qu'En Ménage et À Vau-l'eau, Les Sœurs Vatard affiche d'emblée son appartenance à cette « littérature putride » que Louis Ulbach dénonçait en 1868 à la lecture de Germinie Lacerteux, paru en 1865, et de Thérèse Raquin, paru deux ans plus tard.

C'est à Zola que le jeune Huysmans dédie d'ailleurs son second roman, dont le titre et le sujet ressortissent bien d'une topique naturaliste : un patronyme aux sonorités déplaisantes et populacières, un milieu, celui des ateliers de brochure parisiens, une intrigue - qui n'en est pas une - centrée sur les amours de deux sœurs. L'auteur de L'Assommoir ne manque pas de reconnaître ce fils comme sien, par un article qu'il consacre au roman à sa parution et qu'il reprend en 1880 dans Le Roman expérimental.

Les Sœurs Vatard est bien d'abord un acte d'allégeance au maître et une preuve de la fidélité du disciple au modèle proposé par Zola. Huysmans a consacré quatre articles à L'Assommoir en 1877 dans L'Actualité, journal bruxellois, et le roman de 1879 est évidemment lié à cet autre roman de la vie ouvrière, à cette « simple vie de Gervaise Macquart » - avec laquelle Vatard assonne, comme Colombel, l'ami d'Anatole, rappelle le père Colombe. C'est aussi une place que cherche alors l'écrivain dans le champ littéraire, alors dominé par la littérature naturaliste, et les lettres qu'il adresse à Théodore Hannon, avec lequel il vient de se lier, font ainsi état d'un « groupe », d'une « bande de jeunes » qui veulent « faire vivant et vrai à n'importe quel prix » et que Paris commence à entendre.

Proclamation esthétique et stratégie d'un romancier qui veut se faire un nom : la collaboration aux Soirées de Médan, l'année qui suit les Sœurs Vatard, le confirmera.

Il n'en demeure pas moins que c'est aussi, secrètement, sous le patronage d'Edmond de Goncourt que se place alors Huysmans. Il le dira crûment à Henry Céard des années plus tard, à propos de Marthe, ce « vieux ovaire de jeunesse, fécondé par un spermatozoïde égaré des Goncourt». De même qu'il est toujours sous l'influence de Baudelaire, auquel rendait hommage son Drageoir aux épices, et la combinaison du modèle de l'écriture artiste et de celui du « paysage parisien » ou du « petit poème en prose » est constamment perceptible dans Les Sœurs Vatard. Dès lors, ce roman, à la croisée de ces différents chemins, est également une œuvre critique, qui prépare l'éloignement qu'exprimera À Rebours. Roman de l'artiste, comme le sera En Ménage où le peintre se doublera d'un écrivain, Les Sœurs Vatard formule un art poétique, certes hésitant, encore en devenir, une sorte de work in progress.

C'est en tâtonnant que le romancier se livre en effet à l'élaboration d'un roman délibérément naturaliste, tout en s'adonnant avec délectation à la mise en cause de la mimesis dans une écriture burlesque et libre : Les Sœurs Vatard, ce sont des lieux communs mis à nu, c'est un exercice de style virtuose et brillant, c'est une réflexion sur les conventions romanesques. C'est finalement, selon les termes de David Baguley, une mise en cause des « fondements mêmes du projet romanesque du naturalisme zolien».

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