Le charmeur de rats

Marina Tsvetaieva - Veline Amoursky

Le charmeur de rats
176 pages
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Mots pour Le Charmeur de rats

Mieux vaut être qu'avoir.

(Devise de Marina Tsvetaeva)

Il n'est qu'à le lire pour s'en rendre compte : ce long poème de Marina

Tsvetaeva, que l'on peut, à l'instar de ceux de Pouchkine, qualifier de

poème-récit, porté par le célèbre conte allemand dont il s'inspire, est l'une

des oeuvres les plus importantes de son auteur. Il a « la rapidité d'une

comète » sur les montagnes, de celles qui ont comblé, pour un temps, son

besoin d'espace, alors en exil non loin de Prague.

Si elle se retrouve ici plus que jamais féroce, c'est pour aller contre « la

laideur du tourment » (ce que, sans rapport à ce poème toutefois, elle écrivit

à Rilke, qui ne se veut pas contre le tourment lui-même). Laideur de tout

conformisme, de tout ce qui vient à l'encontre d'une voie qui exige une

incessante attention, s'il le faut jusque dans l'erreur, l'aveuglement ou la

contradiction (ce que Marina Tsvetaeva ne craignait nullement), laideur au

fond de tout ce qui l'emporte, extérieur à cette voie, tel le statut social dans

lequel il n'y pas pas d'artiste réel à devoir s'en réclamer (l'Union des

écrivains dont souffrit Mandelstam en est l'exemple le plus concret), qui se

sait par là méprisé dans sa personne ; ainsi, la vengeance du joueur de flûte

face au mépris et au mensonge du bourgmestre de Hamelin est celle de

Marina Tsvetaeva elle-même.

Sans doute, la surprise du « Charmeur de rats » relève moins du

dépassement de l'opposition du récit et du poème que de l'invention, au

fond, d'une langue tout à la fois lyrique (lyrisme effréné qu'on lui connaît,

qui selon attire, qui selon repousse) et satyrique : c'est toute l'importance du

sous-titre que Marina Tsvetaeva a donné à ce poème. C'est-à-dire l'invention

d'une langue fidèle à sa vérité, là dans un double rapport de la poésie au

conte et à l'histoire, éternité d'un « il était une fois » retournée sur une

situation donnée à un moment donné de l'histoire, fût-elle perçue de son seul

point de vue, à elle et rien que par elle (ses poèmes, celui-ci comme les

autres, en résonance à leur époque, sont datés). Une vérité passionnée

s'énonce — doit s'énoncer — et pour ce faire avance par éclats, par à-coups

— moyens si naturels à Marina Tsvetaeva, syncopes allitérations

néologismes s'enchaînant dans une déferlante « au fil du crayon » où sont

convoqués des mots d'une autre langue (principalement l'allemand mais

aussi le français et l'italien), soit des sonorités venues d'ailleurs cependant si

fondues dans l'ensemble qu'elles paraissent aussi naturelles au poème et

l'explosion de sa langue, et nous-mêmes, dans la course de fond de ce long

souffle acrobatique, physiquement atteints.

Olivier Gallon

Livres de l'auteur : Marina Tsvetaieva - Veline Amoursky