Le charmeur de rats
Mots pour Le Charmeur de rats
Mieux vaut être qu'avoir.
(Devise de Marina Tsvetaeva)
Il n'est qu'à le lire pour s'en rendre compte : ce long poème de Marina
Tsvetaeva, que l'on peut, à l'instar de ceux de Pouchkine, qualifier de
poème-récit, porté par le célèbre conte allemand dont il s'inspire, est l'une
des oeuvres les plus importantes de son auteur. Il a « la rapidité d'une
comète » sur les montagnes, de celles qui ont comblé, pour un temps, son
besoin d'espace, alors en exil non loin de Prague.
Si elle se retrouve ici plus que jamais féroce, c'est pour aller contre « la
laideur du tourment » (ce que, sans rapport à ce poème toutefois, elle écrivit
à Rilke, qui ne se veut pas contre le tourment lui-même). Laideur de tout
conformisme, de tout ce qui vient à l'encontre d'une voie qui exige une
incessante attention, s'il le faut jusque dans l'erreur, l'aveuglement ou la
contradiction (ce que Marina Tsvetaeva ne craignait nullement), laideur au
fond de tout ce qui l'emporte, extérieur à cette voie, tel le statut social dans
lequel il n'y pas pas d'artiste réel à devoir s'en réclamer (l'Union des
écrivains dont souffrit Mandelstam en est l'exemple le plus concret), qui se
sait par là méprisé dans sa personne ; ainsi, la vengeance du joueur de flûte
face au mépris et au mensonge du bourgmestre de Hamelin est celle de
Marina Tsvetaeva elle-même.
Sans doute, la surprise du « Charmeur de rats » relève moins du
dépassement de l'opposition du récit et du poème que de l'invention, au
fond, d'une langue tout à la fois lyrique (lyrisme effréné qu'on lui connaît,
qui selon attire, qui selon repousse) et satyrique : c'est toute l'importance du
sous-titre que Marina Tsvetaeva a donné à ce poème. C'est-à-dire l'invention
d'une langue fidèle à sa vérité, là dans un double rapport de la poésie au
conte et à l'histoire, éternité d'un « il était une fois » retournée sur une
situation donnée à un moment donné de l'histoire, fût-elle perçue de son seul
point de vue, à elle et rien que par elle (ses poèmes, celui-ci comme les
autres, en résonance à leur époque, sont datés). Une vérité passionnée
s'énonce — doit s'énoncer — et pour ce faire avance par éclats, par à-coups
— moyens si naturels à Marina Tsvetaeva, syncopes allitérations
néologismes s'enchaînant dans une déferlante « au fil du crayon » où sont
convoqués des mots d'une autre langue (principalement l'allemand mais
aussi le français et l'italien), soit des sonorités venues d'ailleurs cependant si
fondues dans l'ensemble qu'elles paraissent aussi naturelles au poème et
l'explosion de sa langue, et nous-mêmes, dans la course de fond de ce long
souffle acrobatique, physiquement atteints.
Olivier Gallon