Le bestiaire
La science (dont c'est l'ère, incontestablement) ne désenchante pas le monde, au contraire. Seuls sont désenchantés les médiocres et les scientifiques du juste milieu. Ceux qui poussent plus loin tombent brusquement en pleine fantasmagorie au détour d'une formule qu'ils ne contrôlent plus. On en perd, comme ça, des milliers qui disparaissent dans des "Bourbaki" et des "Alice au pays des merveilles". . Ne parlons même pas des grands "trucs", où il est certain que les chiffres giga, méga ou tétratoniques ont naturellement la cadence des vers de l'Odyssée, ou la facette des idéogrammes du "Tâo-To-King" ; ni de cette balistique archangélique qui essaye de tuer la solitude en visant la lune. Restons à ras de terre, de toute façon, on y est forcé. des appareils scientifiques, patients comme des loirs, nous restituent par exemple le mouvement non apparent, quoique réel, des plantes. Qui n'a pas été glacé d'une terreur nouvelle en voyant, enfin, le mouvement des vrilles du liseron, d'un germe de haricot, d'un lierre ? Voilà des monstres avec lesquels on vivait, qu'on ne soupçonnait pas. C'est à un appareil du même ordre que nous avons affaire ici.
Jean Giono
(Quatrième de couverture)