L'herbe d'oubli
Faire ses comptes, se mettre en règle, chercher à savoir qui on est, et ce que l'on pense, trouver son ordre et s'y maintenir, combien de fois au cours de ma vie ne me suis-je pas dit qu'il ne pouvait s'agir d'autre chose, que tant que cette entreprise n'aurait pas été menée à bonne fin, il n'y aurait rien de fait ni rien qui vaille, que je ne ferais que persévérer dans la confusion et vivre dans la suite de moi-même, c'est-à-dire en acceptant tout ce que je refuse. Combien de fois n'ai-je pas pensé que j'allais me mettre en route, mais sans aller jamais bien loin, repris dans les pièges de la facilité, d'une certaine paresse peut-être, soumis, toujours hanté par le soupçon que rien n'est jamais comme on croit, que tous les problèmes ne sont pas faits pour chacun et qu'il ne faut pas se laisser tenter au-dessus de ses forces. Faire ses comptes c'est aussi chercher à revoir comme à travers un kaléidoscope, s'efforcer de remettre en ordre les pages d'un livre disloqué tout en sachant qu'il en manquera beaucoup, se demander sur ce qui s'est passé à telle ou telle période : comment était-ce ? Qu'est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi ? Comment ai-je agi à ce moment-là ? Envers moi-même, envers les autres ? Se peut-il que l'on s'habitue à soi-même ? Que jusque dans la vieillesse on vive avec ses erreurs et ses remords comme avec ses maladies, qu'on finisse par se passer bien des choses ? Oui, mais on sait. Pour ce qui a compté il n'y a pas de prescription. " Louis Guilloux.