L'argent noir. Corruption et développement
Est-ce pudeur, honte ou hypocrisie ? Nul ne se hasarde vraiment à parler de corruption. De temps à autre, un scandale éclate, dont le bruit s'éteint vite, et les pots-de-vin, commissions et autres bakchich continuent leurs parcours discrets, comme devant.
Or la corruption n'est pas uniquement une pratique répandue que seule la morale privée réprouverait. Pour de nombreux pays, parmi les plus démunis, la corruption est un véritable drame: elle ronge les cadres dirigeants, elle ruine les ressorts du peuple, elle détourne vers divers paradis fiscaux des ressources indispensables. Bref, elle appauvrit encore les plus pauvres. Depuis le début des années 70, le quadruplement des prix du pétrole, le gonflement de la dette du Tiers monde, elle est devenue l'une des causes majeures du sous-développement.
Il n'existe pas de corrompus sans corrupteurs. Certaines élites tropicales ou équatoriales portent une lourde part de responsabilité dans la misère de leur pays. Mais que dire de nos industriels, soutenus fidèlement par nos gouvernements, qui vendent au Tiers monde ces " éléphants blancs ", usines inutiles, cathédrales de béton, routes qui ne mènent nulle part, projets sans autre objet que de fabriquer du chiffre d'affaires au Nord et des pots-de-vin au Sud ? L'affairisme du Nord, la corruption du Sud sont les facettes d'une même attitude: un mépris aveugle ou cynique de l'intérêt général.
A sa manière habituelle, sans circonlocutions ni complaisances, citant des noms, des faits, des chiffres, Pierre Péan nous ouvre cette fois les portes de l' " argent noir ". Nul doute qu'après Affaires africaines ou le dossier des " avions renifleurs ", cette nouvelle enquête fera grincer des dents: au Sud comme au Nord, le silence en ce domaine arrange bien des gens.