Djamila Boupacha
Une Algérienne de vingt-trois ans, agent de liaison du F.L.N., a été séquestrée, torturée, violée avec une bouteille par des militaires français : c'est banal. Depuis 1954, nous sommes tous complices d'un génocide qui, sous le nom de répression, puis de pacification, a fait plus d'un million de victimes : hommes, femmes, vieillards, enfants, mitraillés au cours des ratissages, brûlés vifs dans leurs villages, abattus, égorgés, éventrés, martyrisés à mort ; des tribus entières livrées à la faim, au froid, aux coups, aux épidémies, dans ces "centres de regroupement" qui sont en fait des camps d'extermination - servant accessoirement de bordels aux corps d'élite - et où agonisent actuellement plus de cinq cent mille Algériens. Au cours de ces derniers mois, la presse, même la plus prudente, a déversé sur nous l'horreur : assassinats, lynchages, ratonnades, chasses à l'homme dans les rues d'Oran ; à Paris, au fil de la Seine, pendus aux arbres du bois de Boulogne, des cadavres par dizaines ; des mains brisées ; des crânes éclatés ; la Toussaint rouge d'Alger. Pouvons-nous encore être émus par le sang d'une jeune fille ? Après tout, - comme l'a insinué finement M. Patin, Président de la Commission de Sauvegarde, au cours d'un entretien auquel j'assistais - Djamila Boupacha est vivante : ce qu'elle a subi n'était donc pas terrible.» Simone de Beauvoir.