Tragédies III : Philoctète - Oedipe à Colone
Tragique grec (Athènes v. 496 – id. 406 av. J.-C.).
Une longue vie, un rôle important dans la cité, une piété reconnue et un succès constant ont traditionnellement fait de Sophocle une figure du bonheur humain. Exerçant plusieurs charges importantes, stratège en 441, il fait partie de l'entourage de Périclès, avec Hérodote, à l'œuvre duquel ses tragédies donnent des échos. Après la mort de Périclès (429), au début de la guerre du Péloponnèse, Sophocle se range sans doute du côté de Nicias. Il est l'un des dix « Anciens » chargés de prendre les mesures extraordinaires qu'imposait le désastre de Sicile (413), avant la crise de 411 et l'établissement des Quatre Cents. Le poète ne fut pas poursuivi. Enfin, Sophocle, qui avait accueilli Asclépios à Athènes en 420, fut lui-même l'objet d'un culte héroïque après sa mort.
De son œuvre très importante, il reste sept tragédies (les Trachiniennes, Antigone, Ajax, Œdipe roi, Électre, Philoctète et Œdipe à Colone), ainsi que des fragments, dont ceux d'un drame satyrique, les Limiers. En renonçant à la trilogie liée et en introduisant dans ses pièces un troisième acteur, Sophocle donna à la tragédie sa figure définitive et ces innovations techniques furent d'ailleurs adoptées par Eschyle dans ses dernières pièces. Tout en réduisant le rôle des parties lyriques, il s'est intéressé, plus que son prédécesseur, à l'intrigue de ses pièces et a donné plus de complexité au drame : Œdipe roi offre l'exemple parfait de l'art avec lequel Sophocle sait agencer les péripéties pour maintenir en haleine le spectateur. Il met en scène la condition humaine dans sa faiblesse et dans sa force, montrant à la fois l'impuissance à laquelle sont réduits ses héros et la grandeur dont ils font preuve, dans leur volonté implacable de justice ou dans l'abattement. Il représente aussi le pouvoir humain avec ses ambiguïtés, pouvoir d'un Œdipe, roi et habile découvreur d'énigmes aussi bien qu'aveugle sur lui-même, pouvoir du tyran Créon, dans l'Antigone, qui s'oppose aux valeurs de la démocratie athénienne, ou pouvoir d'une parole mensongère comme celle d'Ulysse dans le Philoctète. Le théâtre de Sophocle se fait aussi l'écho d'une actualité politique agitée (le retour de Philoctète est l'image du retour d'Alcibiade) et des grands débats d'une époque où les idéaux s'affrontent, où la réflexion sur l'ordre du monde et sur l'humanité prend des chemins divers.
Œdipe à Colone (représentation posthume en 401). C'est la « suite », très postérieure, d'Œdipe roi. Accompagné de sa fille Antigone, Œdipe, exilé et aveugle, arrive à Colone, bourg de l'Attique, et se réfugie dans un bois sacré. Il demande asile au roi Thésée qui l'assure de sa protection. Au même moment, à Thèbes, Polynice, le fils d'Œdipe, entreprend son expédition contre Créon et les deux adversaires vont venir tour à tour solliciter le concours d'Œdipe, que les dieux assurent décisif pour l'issue du combat. Œdipe refuse de les suivre, Thésée se constitue son défenseur. Le vieux roi meurt, apaisé et pardonné de son crime involontaire. Construite sur l'inverse du schéma classique (qui met en scène un héros déchiré et poussé hors de lui par des élans contraires), la pièce, fruit de la fin de la vie de Sophocle (qui ne l'a pas vue représentée), montre un vieillard refermé sur lui-même que des forces extérieures cherchent à ébranler. Alors que, dans Œdipe roi, il s'agissait de débarrasser un territoire d'une souillure (liée non à une intention mais à un acte : la « légitime défense » n'a pas de sens dans la tragédie antique), dans Œdipe à Colone se pose le problème de la culpabilité : il est résolu dans la perspective culturelle grecque – Œdipe ne sera pas innocent, mais « intouchable ».