Rome en noir
C'est toi le boxeur ? » avait demandé l'individu au boxeur avant de lui mettre son poing dans la figure et de lui coller trois balles dans le buffet. Ce jour là, un dimanche, Benito Mussolini était en deuil. Il venait de perdre son professeur de violon. Le meurtre du boxeur eut lieu dans un bal à Villeurbanne, banlieue ouvrière, mais la victime était originaire de Roccasecca, un village pelé du sud de Rome. Pour la police française, c'était une affaire d'immigrés sans grande importance. Mais pour les Chemises noires, la vengeance est un plat qui se mange froid. Philippe Videlier déroule l'aventure mussolinienne depuis les années trente jusqu'à la mort du Duce, en organisant son récit autour d'un fil rouge : l'assassinat en 1932 du boxeur Pietrantonio Di Mauro, athlète moyen mais fasciste d'élite. La reconstitution minutieuse de l'enquête sur ce meurtre, devenu un enjeu politico-médiatique, accompagne la fresque historique de l'épopée fasciste. Les suspects, anarchistes ou communistes, seront tour à tour emprisonnés, innocentés, de nouveau traqués par les services secrets tout-puissants de Mussolini, la redoutable OVRA, jusqu'à la déclaration de guerre. Mussolini a beau plastronner, ses troupes subissent revers sur revers. Le récit s'achève avec l'écroulement du fascisme : Mussolini est destitué, emprisonné, libéré à la faveur d'une opération spectaculaire ordonnée par Hitler. Les nazis lui concèdent la présidence d'une république fantoche, à Salò, avant la déroute finale. En fuite, Mussolini est reconnu, arrêté et tué. Son corps et celui de sa maîtresse sont exposés à Milan, pendus par les pieds.
On retrouve ici la méthode et le style tout à fait singuliers de Philippe Videlier. La folle aventure fasciste arbore les couleurs d'une farce grinçante. Le récit, d'une implacable précision documentaire, est ponctué par les apparitions bouffonnes d'un super-héros jailli d'une bande dessinée à la gloire du régime. Le personnage de Mussolini triomphant, délirant de narcissisme, se piquant d'art, adulé par les foules en Italie et en Amérique, mais aussi, on a tendance à l'oublier, en France et en Europe, domine le livre de sa stature à la fois effrayante et grotesque. Philippe Videlier offre ici une fascinante restitution de la tragédie fasciste.