Prague aux doigts de feu
La journaliste italo-vaudoise Paola Rouge, dite Malatesta, n’hésite pas, on le voit, à payer de sa personne. Elle a vingt-cinq ans en 1968, et c’est un hasard à peine aidé qui fait qu’elle séjourne à Prague, en vacances avec Jean-Pascal, son mari, le jour où les chars soviétiques envahissent la ville. Le hasard le plus pur lui fait connaître Stepan, en compagnie de qui elle vivra les journées sanglantes d’août 68, et qui deviendra son amant. La moitié des pages du roman, censé être une confession de Paola à un journaliste de RF 1 rencontré à Prague en 1989, racontent fiévreusement ces journées de lutte assorties de l’histoire d’un amour.
…Les trouvailles heureuses abondent dans ce roman. Celle-ci me touche: Paola met au monde une fille, Francesca, en 1969. Fille de son mari ou de Stepan? Elle ne le saura que le jour de 1989 où, retrouvant à Paris Stepan qu’elle n’a jamais revu jusque-là, il lui semble rencontrer sa Francesca, qui se serait teint les cheveux en blanc!… Et ce n’est pas le seul endroit. Déjà, avec Station Victoria, Anne Cuneo avait réussi un coup de maître, parce que, comme dans Prague, elle accumule les difficultés, non par malice mais parce que tout romancier, au fur et à mesure que son travail progresse, doit choisir une manière de résoudre les problèmes posés par l’avance de la narration et la croissance des personnages; il peut recourir à des «trucs», et tricher, ou, comme les meilleurs et parmi eux Anne Cuneo, affronter la difficulté jusqu’à ce que la solution, la seule qui puisse convenir à l’œuvre, soit enfin trouvée.
ROGER-LOUIS JUNOD, Coopération