Pour un tombeau d'Anatole
Stéphane Mallarmé est considéré comme l’un des poètes les plus obscurs, les plus hermétiques de la poésie française. D’aucuns ont mis en avant son impuissance à dire, sa lutte avec l’absolu de la page blanche. Je voudrais ici tenter de penser cette supposée « impuissance » comme une tentative d’inscrire la disparition, d’écrire le deuil, dans sa plus pure inacceptabilité.
En 1879, Mallarmé se heurte au non-sens de la mort de son fils, Anatole, à son scandale, dont on connaît l’étymologie « skandalon » (le trébuchet, l’obstacle contre lequel on bute). Les feuillets qui composent l’œuvre inachevée qu’est Pour un tombeau d’Anatole ont été écrits durant les quelques mois qui ont suivi l’événement, et leur publication n’a été possible qu’en 1961 par les soins de Jean-Pierre Richard à qui Henri Mondor, un spécialiste familier de l’œuvre de Mallarmé, avait confié ces feuillets.
Ce poème n’était donc pas destiné à être porté à la lecture du public. Au seuil de sa mort, Mallarmé avait même demandé à sa fille Geneviève de brûler toutes ses notes et ce manuscrit. Publication posthume, donc, pour une série de 202 feuillets. Publication elle-même prise dans la disparition du poète. Ne pouvait-il écrire la disparition du fils que dans une « mort parfaite\u202f[1][1] Je reprends cette expression du titre du livre de Leo... » de lui-même ?