Le temps qui m'a manqué
Quand La Détresse et L'enchantement fut publié en 1984, à titre posthume, le livre ne comprenait pas deux des quatre parties que l'auteur avait prévues.
C'est la mort qui avait empêché la grande romancière de mener à terme son projet d'autobiographie. Elle n'en laissait pas moins le début du manuscrit de la troisième partie, qui s'ouvre sur le voyage de Gabrielle à Saint-Boniface, où sa mère vient de mourir.
Ce sont des pages émouvantes, où Gabrielle Roy évoque sa relation avec sa mère et avec ses sœurs, ainsi que sa carrière de journaliste dans le Québec des années de guerre et la genèse de son premier roman, Bonheur d'occasion. Longtemps il m'avait semblé que les rails ne me chanteraient jamais autre chose que le bonheur.
Dans mes voyages d'enfant avec maman, que nous allions peu loin, ou au contraire, comme cette fois jusqu'en Saskatchewan, alors qu'elle avait eu l'air si préoccupée, toujours ils me présentèrent la vie à l'image des visions magiques que faisait naître en moi la vue de l'horizon fuyant sans cesse devant nous.
Les espaces immenses, le départ, le train, le voyage et, au bout, le bonheur, me parurent pendant des années indissolublement liés.
Même après que j'eus quitté ma mère en ce jour de septembre, petite silhouette solitaire au bout du quai, serrant sur elle son manteau sombre, le cœur me manquant de la voir ainsi abandonnée, même alors les rails ne furent pas longs à me rassurer et à me consoler par leur incroyable attrait sur mon âme jeune. Je m'en allais au loin chercher ce qu'il y avait de meilleur, me disaient-ils. Je le rapporterais à ma mère.
Et elle en serait à jamais réjouie.