Le Phalanstère du bout du monde
Imaginez un château biscornu, surmonté de tours tordues et bancales comme sorties d'un décor de carton-pâte pour film d'épouvante tourné avec des bouts de ficelle, et vous aurez une idée du Phalanstère. Seulement, l'endroit n'a rien d'un décor de rêve. De cauchemar, oui, sûrement. Le jour où le petitJean– 7 ans– en a franchi les grilles avec ses parents, il ne savait pas qu'il ne les reverrait jamais et qu'une nouvelle vie commençait pour lui. Une vie rythmée par les cours magistraux ânonnés par "de lointains professeurs au visage indéfinissable", par les interminables heures d'étude littéralement transformées en galères, par les cauchemars nocturnes et par la touille, cette infâme mixture malodorante et sans goût. Jusqu'au jour où Jean fera la rencontre du Concierge de l'église. Là, il comprendra la véritable nature du Phalanstère, projet utopique démesuré, machine à fabriquer du bonheur programmé où "la vérité n'a aucune place"…Le scénariste Corbeyran (Le Chant des Stryges,Le Cadet des Soupetard) aécrit cette histoire d'une seule traite, dans un état de fièvre, "comme au sortir d'un songe". Et déclare avoir ressenti "un grand vide proche du vertige" après avoir rédigé la dernière ligne. On le comprend aisément :Le Phalanstère du bout du mondeest un conte philosophique inquiétant et cauchemardesque qui ne laisse guère de place à l'espoir. D'autant que Bouillez, jeune dessinateur au trait néanmoins affirmé, distille l'inquiétude et le malaise grâce à des ombres chinoises subtilement maîtrisées. Attention à vous si vous franchissez, à votre tour, les portes du Phalanstère : vous entrez sans espoir de retour dans les sombres territoires de l'Inquiétude…--Gilbert Jacques