La revue dessinée, n°30
Tout est à rapiécer, raccommoder, repriser. Ce qui a été blessé, déchiré, abîmé. Pour faire tenir ensemble ce qu’il nous reste en commun dans cette période où l’on vit à distance. Retisser les liens. Prendre soin.
Ce travail est, comme souvent, entre les mains de celles et ceux qui triment dans l’ombre. Tard le soir, tôt le matin, dans les hôpitaux, les cuisines, les chantiers, à l’arrière des camions-poubelles. Il est entre les mains de celles et ceux qui, aux yeux de certains décideurs, « ne sont rien », mais qui pourtant font tout. Ces indispensables invisibles que les politiques migratoires maintiennent dans l’illégalité, complices de l’exploitation que favorise le travail sans papiers.
À mesure que les distances s’imposent, une autre fracture se creuse. Celle qui sépare les apôtres d’une start-up nation connectée et les personnes que le passage au numérique laisse sur la touche, les « débranchés » qui ne veulent pas ou ne peuvent pas prendre le train en route. Eux aussi sont ignorés, laissés sur le bas-côté au nom de la praticité, de l’effcacité et du progrès.
Ce même progrès se propage souvent à marche forcée. À l’image du déploiement sous tension de compteurs électriques communicants, présentés comme annonciateurs d’un monde plus innovant, plus connecté et plus intelligent. La promesse laisse sceptique. Ces objets ne portent-ils pas plutôt le risque d’une société plus surveillée ?
Alors, les liens se nouent pour résister. Et si, en mêlant leurs colères et leurs combats, certains avaient trouvé le fil permettant d’en découdre pour inventer un monde commun ?